[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
cavalerie autrichienne qui leur demande de se rendre. Heureusement, l’escorte arrive.
La Fortune, une nouvelle fois, m’a protégé .
Le 2 juin, il fait atteler six chevaux blancs au carrosse qui doit le conduire à Milan. Mais le temps est à l’orage, la pluie tombe à verse et les Milanais ont déserté les rues.
Il s’est habitué aux acclamations, au triomphe, et le silence de la ville l’irrite. Il s’emporte, convoque Bourrienne. Il faut effacer cela, faire libérer les prisonniers politiques enfermés par les Autrichiens, redonner vie à la République cisalpine.
Il dicte, à une heure du matin, une dépêche pour les consuls. Entre la réalité et les mots, qui, à Paris, verra la différence ? Les mots acquièrent une vérité à eux. « Milan, commence-t-il d’une voix saccadée, m’a fait une manifestation spontanée et touchante. »
À Paris, tous les envieux, les comploteurs, les rivaux, les lâches, les avides qui grouillent, habiles survivants de tant d’époques de terreur, sont à l’affût d’un signe de faiblesse. Il ne faut rien leur laisser espérer.
Tout en dictant une lettre pour Fouché, il va et vient dans les grandes salles du palais : « Je vous le recommande encore, frappez vigoureusement le premier, quel qu’il soit, qui s’écarterait de la ligne, c’est la volonté de la nation entière. » Il s’interrompt. Fouché a grand besoin d’être rassuré, flatté. Cet homme est rusé, mais il craint pour sa fonction, comme tout homme. Il se dit menacé lui aussi, calomnié. « La réponse à toutes les intrigues, à toutes les cabales, à toutes les dénonciations, continue Napoléon, sera toujours celle-ci : c’est que, pendant le mois que j’aurai été absent, Paris aura été parfaitement tranquille. Après de tels services, on est au-dessus de la calomnie… »
Peut-être ainsi tiendra-t-on Fouché. Quant au peuple, il faut d’autres mots.
Napoléon vient d’apprendre, il y a quelques heures à peine, la capitulation de l’armée d’Égypte. « Que le citoyen Lebrun rédige lui-même un article, simplement pour faire sentir à l’Europe que si je fusse resté en Égypte, ce pays restait à la France. »
Dans cette affaire égyptienne, une seule bonne nouvelle, le retour du général Desaix. Lui écrire aussi : « Je vous ai voué toute l’estime due aux hommes de votre talent, avec une amitié que mon coeur aujourd’hui bien vieux et connaissant trop profondément les hommes n’a pour personne. »
C’est vrai, chaque jour les hommes déçoivent ! Passe encore les ennemis, ce Georges Cadoudal, dont la police dit qu’il organise avec une cinquantaine d’anciens chevaliers de la maison du roi un complot pour m’assassiner ou m’enlever !
« Prenez mort ou vif ce coquin de Georges, dicte-t-il. Si vous le tenez une fois, faites-le fusiller vingt-quatre heures après… »
Georges : celui-là, rien à attendre de lui que la haine ! Mais ses frères, Joseph, Lucien, des Bonaparte qui anticipent déjà sur une défaite, prennent langue les uns avec les autres.
Napoléon agite devant Bourrienne la lettre qu’il vient de recevoir de Joseph. Le frère aîné, en quelques phrases gênées, rappelle qu’il est candidat à la succession. « Tu ne peux avoir oublié ce que tu m’as dit plus d’une fois… » écrit-il.
Oui, j’ai le coeur bien vieux !
Quand, le soir du 4 juin, Napoléon entre à la Scala de Milan, dont les ors brillent sous les chandeliers, et que la salle se lève et l’acclame, son amertume s’efface. La foule admirative est un baume. Ces voix qui montent vers lui sont une caresse qui le transporte.
Il reconnaît, à quelques pas en avant du choeur de cet opéra baroque, Les Vierges du soleil , cette jeune cantatrice au teint bistre, aux traits durs, aux joues un peu lourdes mais dont les cheveux d’un noir de jais couvrent les épaules. C’est Giuseppina Grassini, qu’il avait déjà rencontrée en 1796 et qu’il avait écartée.
Il se souvient de sa passion d’alors pour Joséphine, de son aveuglement.
Les temps ont changé.
Peut-être Giuseppina Grassini a-t-elle un peu grossi, mais elle paraît toujours séduite, s’avançant vers la loge où Napoléon se trouve. Elle ne le quitte pas des yeux.
Elle est à prendre comme un pays qui se livre. Et plus rien, aujourd’hui, ne pourrait retenir Napoléon. La seule mesure qu’il connaît est celle de son propre désir, de sa propre
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