Oeuvres de Napoléon Bonaparte, TOME III.
inconsidérés ignorent-ils donc que Harold-le-parjure se mit aussi à la tête de son peuple ! Ignorent-ils que les prestiges de la naissance, les attributs du pouvoir souverain, le manteau de pourpre qui couvre les rois sont de fragiles boucliers dans ces momens où la mort, se promenant à travers les rangs de l'une et de l'autre armée, attend le coup d'oeil du génie et un mouvement inattendu, pour choisir le parti qui doit lui fournir ses victimes.
Le jour d'une bataille tous les hommes sont égaux.
L'habitude des combats, la supériorité de la tactique, et le sang-froid du commandement font seuls les vainqueurs ou les vaincus. Un roi qui, à soixante-trois ans, se mettrait pour la première fois à la tête de ses troupes, serait, dans un jour de combat, un embarras de plus pour les siens, une nouvelle chance de succès pour les ennemis.
Le roi d'Angleterre parle de l'honneur de sa couronne, du maintien de la constitution, de la religion, des lois, de l'indépendance. La jouissance de tous ces biens précieux n'était-elle pas assurée par le traité d'Amiens ? On dirait, en lisant ce discours, que ce n'est pas l'ambassadeur d'Angleterre qui a eu la honteuse insolence de donner trente-six heures pour se décider à la guerre, et qu'au contraire l'ambassadeur de France a exigé à Londres que dans trente-six heures on changeât la religion, on abolît la constitution, on déshonorât l'Angleterre. Votre religion, votre constitution, votre honneur ne pouvaient-ils donc exister sans l'ultimatum de lord Whitworth ? Qu'a donc de commun le rocher de Malte et l'île de Lampedouse avec votre religion, vos lois et votre indépendance ?
Il n'appartient pas à la prudence humaine de connaître ce que la Providence a arrêté dans sa profonde sagesse pour servir à la punition du parjure et au châtiment de ceux qui soufflent la division, provoquent la guerre, et pour les vains prétextes ou les secrètes raisons d'une ambition misérable, prodiguent sans ménagement le sang des hommes ; mais nous pouvons présager avec assurance l'issue de cette importante contestation, et dire que vous n'aurez pas Malte, que vous n'aurez point Lampedouse, et que vous signerez un traité moins avantageux que celui d'Amiens.
La défaite, la confusion et le malheur ! Si le roi est si sûr de son fait, que n'ordonne-t-il à ses flottes, à ses croisières de nous laisser pendant quelques jours un libre passage ?
Nous verrons bientôt si le résultat serait pour les Français, la défaite, la confusion et le malheur. Toutes ses rodomontades sont indignes à la fois d'un grand peuple et d'un homme dans son bon sens. Le roi d'Angleterre eût-il remporté autant de victoires qu'Alexandre, Annibal ou César ; ce langage ne serait pas moins insensé. Le destin de la guerre et le sort des batailles tiennent à si peu de choses ? La fortune est si souvent inconstante et aveugle qu'il faut être dépourvu de toute raison pour affirmer que l'armée française qui, jusqu'à ce jour, n'a point passé pour lâche, ne trouverait sur le sol de la Grande-Bretagne que défaite, confusion et malheur.
Quant aux menaces présomptueuses dont le roi d'Angleterre accuse ses ennemis, les ministres seraient embarrassés, sans doute, de les citer. Dans quel temps le premier consul, qui, seul, a la direction de toutes les dispositions militaires, a-t-il dit qu'il voulait envoyer une armée en Angleterre ? Il a dit jusqu'à présent, on campera au Texel, à Ostende, à Saint-Omer, à Brest, à Bayonne, et l'armée y a campé. Ne peut-on donc, lorsqu'on est en guerre, réunir des troupes dans des camps, sans exécuter des menaces présomptueuses ?
Vous convenez que l'armée française peut pénétrer au sein de l'Angleterre ; vous offrez, dans cette supposition, votre tête et votre bras à votre peuple pour sa défense, et vous assurez, d'un ton prophétique, que le résultat sera, pour l'armée française, la défaite, la confusion et le malheur... Soit, mais qu'y gagnerez-vous ? L'avantage que nous en retirerons sera, dites-vous, la gloire de surmonter les difficultés actuelles : il était bien-plus simple de ne pas faire naître ces difficultés.
—De repousser un danger immédiat : il était bien plus sûr de ne pas vous exposer à ce danger.—D'établir la sûreté et l'indépendance du royaume sur la base de sa force reconnue : mais le traité d'Amiens avait établi la sûreté et l'indépendance du royaume de la
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