Vers l'orient
Mais le plus curieux est sans doute la découverte que
firent Ussu et Donduk au pied de l’une de ces dunes. Je crus, dans un premier
temps, qu’il s’agissait de très grosses pierres d’une forme ovale presque
parfaite, lisses au toucher et de la taille de melons hami, mais Donduk
n’en démordit pas :
— Ce sont les œufs abandonnés d’un oiseau Rukh géant. On trouve ainsi leurs nids tout au long des collines de Flamme.
En ayant saisi un, je me rendis compte qu’il était en
effet trop léger pour être une pierre et, quand je l’examinai, je vis qu’il
possédait une surface poreuse comme celle des œufs de poule, de canard et de
n’importe quel autre volatile. Ces objets étaient bien des œufs, d’accord, et
bien plus volumineux que ceux de l’oiseau-chameau que j’avais vu sur les
marchés de Perse. Je me demandai quelle sorte de fortagiona, ou
d’omelette, ils donneraient si je les brisais et brouillais leur contenu avant
de le faire frire pour notre repas du soir.
— Ces collines de Flamme, insistait Ussu, doivent
avoir été en des temps reculés un lieu de nidification apprécié des oiseaux Rukh, n’est-ce pas, Ferenghi, uu ?
— En des temps très reculés, alors,
suggérai-je.
Car je venais te tenter de briser l’un des œufs, et,
bien qu’il n’eût pas le poids d’une pierre, il s’était pétrifié depuis des
temps immémoriaux jusqu’à en acquérir la solidité. Ces œufs n’étaient par
conséquent pas plus susceptibles d’être consommés que d’éclore un jour. Par
ailleurs, ils n’étaient pas assez faciles à manier pour que je puisse en
emporter un exemplaire à titre de curiosité. Il s’agissait très certainement
d’œufs, et d’une taille telle que seul un oiseau gigantesque avait pu les
pondre. Mais avaient-ils vraiment été laissés là par un Rukh, je ne
saurais le dire.
45
Dunhuang était une ville de commerce prospère et
florissante, aussi grande et populeuse que Kachgar, sise dans un bassin sableux
encerclé de falaises rocailleuses couleur chameau. Mais si les auberges de
Kachgar étaient prévues pour accommoder des voyageurs musulmans, celles de
Dunhuang possédaient tout ce qu’il fallait pour contenter le goût et les
coutumes bouddhistes. La ville avait en effet été fondée, quelque neuf siècles
plus tôt, par un marchand de confession bouddhiste qui avait été assailli,
quelque part aux environs de la route de la soie, par des bandits, les voix des azghun ou un quelconque démon kwei et qui avait miraculeusement
échappé à leur maligne emprise. Il s’arrêta en ces lieux pour en remercier le
Bouddha, en lui érigeant une statue à son effigie qu’il plaça dans une niche
située dans l’une des falaises. Au cours des neuf cents années qui s’étaient ensuivies,
chaque bouddhiste de passage avait ajouté une décoration de son cru dans l’une
des cavernes du coin. C’est pourquoi le nom de Dunhuang, qui signifie
« falaises jaunes », se traduit aussi parfois par « grottes des
mille bouddhas ».
Cette désignation est du reste trop restrictive. Je
les appellerais plutôt les grottes des millions de bouddhas, au minimum. Car
plusieurs centaines de grottes grêlent désormais ces mêmes falaises, certaines
naturelles, d’autres entièrement creusées de main d’homme, et dans chacune
reposent sans doute pas moins de deux mille statues du Bouddha, grandes et
petites, tandis qu’aux murs sont peintes des fresques qui représentent
peut-être mille fois plus encore d’images du Bouddha, sans compter les
divinités de moindre importance et autres notabilités de sa suite. Je remarquai
que la plupart de ces images dépeignaient des créatures de sexe masculin, que
très peu figuraient des femmes. En revanche, bon nombre d’entre elles n’étaient
pas clairement identifiables sur ce plan. Toutes avaient cependant un trait
commun : leurs oreilles allongées aux lobes descendant aux épaules.
— La croyance publique, expliqua le vieux gardien
de la grotte, veut qu’une personne née avec de longs lobes d’oreilles soit
destinée à une vie prospère et heureuse. Les plus heureux et prospères de tous
les humains ayant été le Bouddha et ses disciples, nous pensons qu’ils devaient
avoir des oreilles de ce genre et les représentons ainsi.
Le vieil abashi, ou moine, s’était fait un
plaisir de me faire visiter ces cavités et, pour l’occasion, s’exprimait en
farsi. Je le suivis de niche en caverne
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