Aux armes, citoyens !
voilà ressuscité. Il a soif de notre sang. Il fera bien de le répandre car
je vais à Paris et j’y obtiendrai justice. »
Voyage vain puisque d’Antraigues a cédé.
Dans le portefeuille rouge du comte d’Antraigues, Bonaparte
a trouvé le portrait que l’agent royaliste a tracé de lui, sans doute pour
Louis XVIII.
« Ce génie destructeur, écrit d’Antraigues, pervers, atroce,
méchant, fécond en ressources, s’irritant des obstacles, comptant l’existence
pour rien et l’ambition pour tout, voulant être le maître et résolu à périr ou
à le devenir, n’ayant de frein pour rien, l’appréciant les vices et les vertus
que comme des moyens et n’ayant que la plus profonde indifférence pour l’un ou
l’autre, est le cachet de l’homme d’État. »
Bonaparte lit, relit, se regarde dans ce portrait comme dans
un miroir.
« Naturellement violent à l’excès, poursuit d’Antraigues,
mais se réfrénant par l’exercice d’une cruauté plus réfléchie qui lui fait
suspendre ses fureurs, ajourner ses vengeances, et étant physiquement et
moralement dans l’impossibilité d’exister un seul moment en repos… […]
« Bonaparte est un homme de petite stature, d’une
chétive figure, les yeux ardents, quelque chose, dans le regard et la bouche, d’atroce,
de dissimulé, de perfide, parlant peu, mais se livrant à la parole quand la
vanité est en jeu ou qu’elle est contrariée ; d’une santé très mauvaise
par suite d’une âcreté de sang. Il est couvert de dartres, et ces sortes de
maladies accroissent sa violence et son activité. […]
« Cet homme est toujours occupé de ses projets et cela
sans distraction. Il dort trois heures par nuit et ne prend des remèdes que
lorsque ses souffrances sont insupportables.
« Cet homme veut maîtriser la France et par la France, l’Europe.
Tout ce qui n’est pas cela lui paraît, même dans ses succès, ne lui offrir que
des moyens.
« Ainsi il vole ouvertement, il pille tout, se forme un
trésor énorme en or, argent, bijoux et pierreries. Mais il ne tient à cela que
pour s’en servir : ce même homme qui volera à fond une communauté, donnera
un million sans hésitation à l’homme qui peut le servir… Avec lui un marché se
fait en deux mots et deux minutes. Voilà ses moyens de séduire. »
Pourquoi Bonaparte récuserait-il ce portrait ?
Ceux qui ne sont pas haïs ne font rien. Ne sont rien.
Bonaparte veut être tout.
29.
S’il veut être tout, Napoléon Bonaparte sait, en ces mois de
prairial, messidor et thermidor an V (mai, juin, juillet 1797), qu’il doit
associer l’audace, l’action et la prudence.
La partie qui se joue à Paris entre Barras, Reubell, La
Révellière-Lépeaux, d’une part, et d’autre part les deux Directeurs, Carnot et
Barthélémy, modérés, sensibles aux arguments des députés du Ventre, et même des
royalistes, est feutrée.
Et autour des cinq Directeurs, grouillent les intrigants, les
hommes et les femmes d’influence.
Les uns sont des clichyens souvent ouvertement royalistes, les
autres modérés mais républicains se rencontrent au Cercle constitutionnel, qui
ne peut plus se réunir à l’hôtel de Salm, rue de Lille.
Les députés des Conseils ont voté une disposition qui
interdit les réunions politiques hors des « salons » privés !
Mais Madame de Staël, Sieyès, Benjamin Constant, Talleyrand,
continuent de se voir, et même le 9 thermidor (27 juillet) organisent un grand
banquet où l’on boit « à la folie des ennemis de la République, au général
Bonaparte, et au Directoire » !
Et il faut compter aussi avec le président du Conseil des
Anciens, Barbé-Marbois, et surtout avec le général Pichegru, président du
Conseil des Cinq-Cents.
On s’observe au cours de cette longue partie d’échecs
politique.
Et tout à coup, Barras dispose d’une pièce maîtresse. Le 23
juin, un courrier de Bonaparte lui remet les documents signés par d’Antraigues.
Ils ne laissent aucun doute sur la trahison du général Pichegru.
Barras les communique à Reubell et à La Révellière-Lépeaux, et
les trois Directeurs sont persuadés que la majorité des Conseils, et
naturellement Pichegru, vont restaurer la monarchie, offrir le trône à Louis
XVIII.
Et Barras décide de faire lire ces pièces accablantes à
Carnot, car l’« organisateur de la victoire » est hostile à toute
idée de restauration.
Carnot a souvent stigmatisé
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