Belle Catherine
nobles ancêtres ? Un moinillon aventureux qui, au temps de la première Croisade, jeta aux orties un froc qu'on s'apprêtait à lui arracher de force, qui s'attacha aux pas du comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles, et revint de Terre Sainte couvert de gloire, riche comme un sultan et dûment anobli par le roi de Jérusalem ? Les Comborn, si l'ancêtre Archambaud le Boucher n'avait gagné aux dés la sœur du duc de Normandie, ne seraient peut-être à cette heure que de petits nobliaux encrassés, abrutis par les beuveries, à peine plus évolués que les paysans avec lesquels ils partageaient jadis les dépouilles des sangliers.
Quant aux Ventadour dont vous êtes, ma mère...
— Vous allez, je pense, me dire qu'ils ont pris racine dans quelque porcherie ? s'écria Isabelle méprisante.
— Rien ne ressemble plus à une porcherie qu'une bauge de sanglier. Et qu'étaient d'autre, je vous prie, ces chefs francs, barbares plus qu'à demi sauvages, venus des forêts de Germanie où ils adoraient les arbres et les ruisseaux, ces petits chefs de hordes hissés sur le pavois à l'occasion d'une chasse heureuse ou d'un ennemi proprement égorgé... et qui sont les nobles ancêtres de nos nobles maisons !
— C'est l'épée qui leur a conquis terres et titres, pas la balance d'un marchand. Jamais sang noble ne s'est abaissé au commerce !
Dans l'ombre, Catherine vit étinceler les dents de loup d'Arnaud.
— En êtes-vous si sûre ? Combien de chevaliers du Temple ont fourni les Ventadour, les Montsalvy ? Et qu'était cette banque si riche, si puissante qui faisait leur force quand le roi Philippe les a écrasés... sinon un très lucratif commerce ?
Allons, mère, pour une fois, oubliez votre noblesse en faveur de celle que j'aime car elle en est digne. Catherine est de ces femmes à la sève puissante d'où sortent les dynasties les plus grandes, comme ces impératrices romaines, couronnées au hasard d'une conquête et d'où naissaient les Césars. La reine Yolande, qui s'y connaît en qualité humaine, lui avait donné rang auprès d'elle, et amitié. Jehanne la Pucelle l'aimait. Serez-vous plus royaliste, Madame, que la reine des Quatre Royaumes, plus orgueilleuse qu'une fille de Dieu ?
— Comme tu l'aimes ! murmura amèrement Isabelle, comme tu la défends !
Il y eut un bruit métallique. Arnaud venait de s'agenouiller auprès de sa mère.
Oui, je l'aime et j'en suis fier. Mère, vous l'aimerez aussi quand vous la connaîtrez mieux. Encore que le brave Gaucher Legoix, mort avec Michel, ne mérite pas ce dédain, oubliez-le, oubliez que Catherine est sa fille... Oubliez aussi le duc Philippe et Garin de Brazey. Ne voyez dans Catherine que la dame d'honneur de la reine Yolande, que celle qui voulut sauver la Pucelle, qui fut pour moi un compagnon d'armes avant d'être ma femme, que Catherine de Montsalvy, mon épouse... est votre fille !
Catherine ferma les yeux. Elle ne voyait d'ailleurs plus clair parce que les larmes l'aveuglaient. Dût-elle vivre une éternité elle n'oublierait jamais les paroles d'Arnaud, ce plaidoyer qui n'était qu'un vibrant cri de passion. Bouleversée d'amour et de reconnaissance, la jeune femme luttait contre la faiblesse qui l'envahissait. Il y a des moments sans doute où le bonheur éprouvé est trop fort pour la résistance humaine et où il peut briser aussi bien que la douleur. Catherine était au bord de l'évanouissement. Elle agrippa le tronc rugueux de l'arbre, s'y cramponna comme pour tirer de sa sève les forces qui lui manquaient. Dans la maison, plus aucun bruit ne se faisait entendre. Isabelle de Montsalvy s'était assise sur un banc et, les yeux fermés, adossée au mur, elle réfléchissait, tandis qu'Arnaud, relevé, enfilait calmement ses gantelets sans plus s'occuper d'elle, respectant sa méditation. Mais, dans la petite pièce du fond, Michel, très certainement aux mains de Sara, se mit à hurler et Catherine, à la voix de son fils, ouvrit les yeux, étouffa une exclamation de colère : en face d'elle, de l'autre côté de la porte, appuyée d'une épaule au mur de la maison, Marie de Comborn la regardait en riant méchamment.
— Un beau morceau de rhétorique, n'est-ce pas ? Mais n'en tirez pas vanité, chère Catherine... Il y aura un jour où Arnaud ne s'en souviendra plus, mais, en revanche, se souviendra fort bien de votre naissance basse. Et, ce jour-là, je serai là, moi...
La joie intérieure de Catherine était si profonde qu'elle ne
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