Belle Catherine
jamais dû venir ici. J'ai bien peur que nous ne soyons tombées dans un affreux guêpier.
La bohémienne lut avec application, épelant chaque mot à mi-voix, puis elle rendit le morceau de parchemin.
— Nous en sortirons peut-être plus aisément que tu ne crois. Si je ne me trompe, il y a là quelqu'un qui songe à nous aider. Qui est-ce ?
— La dame de Rais. Elle est timide, silencieuse, et paraît terrorisée. Mais il est difficile de savoir ce qu'elle pense. Si seulement je pouvais savoir de quoi elle a peur...
Une voix craintive qui semblait venir des profondeurs de la cheminée fit retourner les deux femmes.
— Elle a peur de son mari, comme nous tous ici. Elle a peur de monseigneur Gilles.
Une très jeune fille, mince et rougissante, vêtue comme une servante, surgit de l'ombre créée par le large manteau de pierre. Son bonnet retenait difficilement une épaisse chevelure blond foncé et elle tordait entre ses doigts son tablier bleu.
Catherine vit que ses yeux étaient pleins de larmes... Soudain, avant qu'elle ait pu prévenir son geste, la petite servante s'était jetée à ses pieds et avait noué les bras autour de ses jambes.
— Pardonnez-moi, Madame... mais j'ai trop peur, voilà des jours que j'ai peur ! Je me suis cachée ici pour vous supplier de m'emmener avec vous. Car vous allez partir, n'est-ce pas, vous n'allez pas rester dans ce château de malheur ?
— Je voudrais bien partir, fit Catherine en essayant de détacher les mains crispées de la petite, mais je crains d'être prisonnière. Allons, relève-toi, calme-toi ! De quoi as-tu si peur puisque monseigneur Gilles n'est pas ici ?
— Il n'est pas ici mais il va revenir ! Vous ne savez pas quel homme c'est que le seigneur à la Barbe Bleue ! C'est un monstre !
— Le seigneur à la Barbe Bleue ? coupa Sara. Quel drôle de nom !...
— Il lui va si bien ! fit la jeune fille toujours agenouillée. Sur ses terres, nous sommes nombreux à l'appeler ainsi quand les hommes d'armes ne peuvent pas nous entendre. Il est dur, cruel et faux... Il prend ce qui lui plaît, sans souci des souffrances qu'il cause.
Doucement mais fermement, Catherine avait relevé la petite servante et l'avait fait asseoir sur un coffre. Elle s'assit auprès d'elle.
— Comment t'appelles-tu ? Comment es-tu venue ici ?
— Je m'appelle Guillemette, Madame, et je suis de Villemoisan, un gros village au nord de ce château. Les hommes de monseigneur Gilles m'ont enlevée l'an passé pour me conduire ici, avec deux autres fillettes du village. Nous devions servir la dame de Rais, mais j'ai vite compris que c'était son époux que nous devions servir. Il était revenu au château pour quelques jours. Jeannette et Denise, mes deux compagnes, sont mortes toutes les deux peu après notre arrivée...
— Mais... de quoi ? demanda Catherine en baissant le ton instinctivement.
Monseigneur Gilles et ses hommes se sont amusés d'elles. On a retrouvé Jeannette dans la paille de l'écurie... étranglée.
Quant à Denise, c'est au pied du donjon que les lavandières l'ont découverte un matin, les reins brisés.
— Et toi ? Comment as-tu échappé ?
Guillemette eut un sourire tremblant et se mit à
pleurer."
— Moi, on m'a trouvée trop maigre... et puis le maître est parti avant d'avoir eu le temps. Mais il a promis de s'occuper de moi quand il reviendrait. Vous voyez bien qu'il faut m'emmener... Si je reste ici, moi aussi, je mourrai. Et je voudrais tant rentrer chez nous ! Je vous en conjure, Madame, si vous fuyez, laissez-moi vous suivre. Vous êtes ma seule chance...
— Mais, pauvrette, je ne sais même pas si je pourrai fuir moi-même. Je suis prisonnière autant que toi...
— Je sais bien. Pourtant, vous avez une chance, vous... dans ce billet que vous venez de lire !
Catherine se leva et fit quelques pas dans la chambre, tournant et retournant entre ses doigts le morceau de parchemin.
Son visage était sombre, mais, au fond d'elle-même, la voix tenace de l'espoir s'était levée. La dame de Rais devait connaître à fond ce château, savoir comment il était possible d'y entrer ou d'en sortir. Il y avait certainement des souterrains, des passages cachés... Elle revint à Guillemette et posa la main sur son épaule.
— Écoute, dit-elle gentiment, je te promets de t'emmener si je trouve un moyen de fuir. Viens demain vers le milieu du jour. Je te dirai si quelque chose a été décidé... mais il ne faut pas nourrir trop grand espoir, tu
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