Belle Catherine
s'était demandé pourquoi elle put demeurer si longtemps loin de lui. Peut-être parce qu'elle n'éprouvait pas d'amour vrai pour le père... Le petit Philippe, par droit de naissance, portait dans ses veines enfantines le sang royal de France. C'était trop haut pour elle, trop imposant, et elle comprenait maintenant que, pour elle, l'enfant était surtout, avant tout, le fils du duc de Bourgogne.
Mais celui qui allait venir, celui qui déjà bouleversait son corps, réclamait sa part de sa propre vie, celui-là serait vraiment la chair de sa chair, son amour incarné. Quelque chose que lui avait dit, jadis, au temps où elle attendait le petit Philippe, son ami Abou-al-Khayr, le médecin maure, lui revint.
« Maintenant que tu suis la lumière que l'enfant trace, toute autre voie serait le chemin de la nuit... »
— Comme Arnaud sera content quand il saura... murmura pour elle-même Catherine transfigurée de joie.
— A condition que nous arrivions à le lui dire, bougonna Sara qui avait entendu.
Mais Catherine refusait de laisser ternir, si peu que ce fût, son bonheur présent. Toute la journée, et toute la nuit, au son des violes et des tambourins qui enfilaient rondes et caroles pour faire danser les bonnes gens de Champtocé, elle berça son rêve sous la garde d'une Sara à la fois réticente et attendrie.
Pendant le mois d'août, Catherine fut si malade qu'elle crut mourir cent fois. Des nausées la secouaient continuellement.
Son estomac révolté ne tolérait aucune nourriture et des vomissements incoercibles la vidaient régulièrement du peu de force qu'elle pouvait tenter de récupérer. Une chaleur accablante, qui traversait même les murs énormes de Champtocé, incendiait dans la campagne les meules de paille trop sèche, abattait les bêtes dans les champs et asséchait les fontaines, acheva de l'éprouver. Tout le jour, un implacable soleil brillait dans un ciel blanc. les puits tarissaient et l'eau potable devenait aussi précieuse que l'or. Il n'était pas jusqu'à la Loire qui ne s'asséchât en grande partie, montrant ses fonds sableux comme un tissu usagé montre sa trame. Pourtant, Catherine ne se plaignait pas. Si accablée qu'elle fût par ses malaises, elle les supportait stoïquement parce que c'était l'enfant d'Arnaud qui les lui infligeait. Seulement, quand elle se sentait trop épuisée, elle craignait que les choses ne tournassent mal et qu'elle en vînt à perdre son fruit.
Tout le jour, elle demeurait étendue dans son lit, couverte seulement d'un drap mince, derrière l'abri des volets clos que l'on n'ouvrait pas avant que le soleil baissât. Sara lui tenait compagnie et, souvent aussi, la dame de Craon dont la canicule avait interrompu les galopades. L'intrépide chasseresse s'en consolait en passant auprès de Catherine d'interminables heures à lui conter ses exploits des années précédentes. Seul, Jean de Craon ne franchissait jamais le seuil de la chambre. Chaque matin, il faisait prendre, correctement, des nouvelles de sa prisonnière par un page, mais n'en relâchait pas pour autant sa surveillance. À travers ce que lui racontait la châtelaine, Catherine arrivait à comprendre assez clairement la mentalité du vieux seigneur. Elle tenait en peu de mots : l'amour exclusif, passionné et aveugle qu'il portait à son petit-fils. Gilles, pour Jean de Craon, c'était sa race incarnée, son dieu, l'être pour la puissance et la gloire duquel il était prêt à tous les crimes.
— Gilles n'était encore qu'un enfant, disait Anne, que mon époux, afin de lui donner une idée exacte de sa puissance, l'encourageait à tuer, piller, brûler ses propres villages. Il faisait traîner devant lui les coffres pleins d'or en lui disant que c'était son bien, qu'il pouvait en faire ce qu'il voulait, que l'or était le souverain pouvoir, la clef de toute jouissance.
— Il n'est pas difficile de deviner quelle peut être la mentalité profonde du maréchal, répondait Catherine. Il n'aime que lui-même, je pense ?
— C'est exact et, souvent, je l'ai déploré, mais jamais autant que lorsqu'il a enlevé Catherine, ma petite-fille. J'ai pressenti qu'elle ne pourrait qu'être malheureuse. C'est pourquoi j'ai accepté d'épouser mon seigneur... Tant que je serai vivante, je pourrai protéger Catherine.
— Pourtant, il ne vous viendrait pas à l'idée de vous élever contre les décisions de votre époux ?
— Non. Il est mon époux, justement. C'est lui le maître et,
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