Belle Catherine
éveillant en Catherine la colère en même temps que le chagrin. Elle ne resterait pas une minute de plus chez cet homme qui avait trompé sa bonne foi. Elle allait le sommer de lui rendre Gauthier, d'ouvrir devant elle les portes de son château maudit, de la laisser partir enfin. Et, dût-elle retourner en Normandie, dût-elle affronter Richard Venables avec ses seules mains nues, dût-elle enfin traverser la mer et chercher Arnaud jusque chez l'Anglais, elle était prête à le faire... À mesure qu'enflait sa fureur, son pas se raffermissait, elle retrouvait le courage, la combativité. Ce fut presque en courant qu'elle dévala les dernières marches de la tour.
En rentrant dans sa chambre, Catherine trouva Sara aux prises avec un page inconnu dont les vêtements humides proclamaient qu'il venait d'arriver. À la vue de Catherine, il se tourna vers elle, esquissant un salut un peu trop raide pour être respectueux.
— Je suis Poitou, page de monseigneur Gilles. Il m'envoie vous dire, Dame, qu'il désire vous voir dans l'instant.
Catherine fronça les sourcils. Le garçon, qui pouvait avoir quatorze ans, était d'une grande beauté : brun, les traits fins, un corps vigoureux et délié tout à la fois, mais, apparemment, il le savait trop et son attitude insolente déplut à la jeune femme. Elle passa devant lui, tendit sa cape mouillée à Sara et, sans le regarder remarqua dédaigneusement :
— J'ignore où tu as été éduqué, mon garçon, mais étant donné le rang du maréchal de Rais, je supposais que ses gens auraient d'autres manières. Aussi bien à la cour du roi Charles qu'à celle du duc Philippe de Bourgogne, les pages étaient gens courtois.
Les joues mates du garçon s'empourprèrent. Un éclair de colère brilla dans ses yeux noirs. Il n'était pas habitué, sans doute, à être traité avec ce dédain. Mais Catherine, maintenant, braquait son regard violet sur lui et il baissa la tête. Elle put voir qu'il serrait les poings, mais, lentement, il plia le genou.
— Monseigneur Gilles, reprit-il d'une voix assourdie, m'envoie prier dame Catherine de Brazey de vouloir bien se rendre auprès de lui avant le festin qui doit avoir lieu dans la grande salle.
Un instant, Catherine considéra le garçon à ses pieds. Elle eut un bref sourire puis déclara sèchement :
— Voilà qui est mieux ! Je te remercie de ta docilité. Quant à me rendre auprès de ton maître, il ne saurait en être question. Pas plus que d'assister au festin. Va dire à Gilles de Rais que la dame de Brazey attend ici les explications qu'il lui doit.
Cette fois, Poitou releva la tête et la considéra avec une stupéfaction non dissimulée.
— Que j'aille... commença-t-il.
— Oui, coupa Catherine, et dans l'instant ! J'attends ton maître ici. Il est temps, je pense, que lui aussi apprenne à me connaître.
Le page se releva, maté, et sortit sans rien ajouter. En se détournant, le regard de Catherine croisa celui de Sara.
— Tu t'es fait un ennemi, remarqua la gitane. Ce garçon est pétri d'orgueil. Il doit être le favori du maître.
— Que m'importe? Je n'ai plus l'intention de ménager qui que ce soit ici. Gilles de Rais a manqué à sa parole. Arnaud n'est pas avec lui.
— Alors, tu as raison. Il te doit des explications... Mais, crois-tu qu'il viendra ?
— Oui, fit Catherine, je le crois.
Un quart d'heure plus tard, en effet, Sara ouvrait la porte à Gilles de Rais.
En si peu de temps, il avait pris celui de se changer. Il portait maintenant une longue houppelande de velours bleu sombre dont le bas et les larges manches déchiquetées traînaient à terre. Les signes du zodiaque, brodés en or, en argent et en soie rouge, décoraient cette robe et donnaient au sombre seigneur l'air d'un nécromant. Un énorme rubis jetait des feux sanglants à l'index de sa main gauche. Il était tout à la fois splendide et majestueux, mais Catherine était bien décidée à ne pas se laisser impressionner. Assise très droite dans l'unique chaise à haut dossier de sa chambre ce qui ne laissait au visiteur qu'un tabouret comme siège possible - elle s'était vêtue de velours noir, avec une austérité voulue. Un voile de mousseline noire, posé sur ses cheveux tressés en couronne, accentuait le côté endeuillé de sa toilette sans parvenir à éteindre l'éclat lumineux de ses tresses dorées. Sara, les mains croisées sur son ventre et les yeux baissés, se tenait debout auprès d'elle, légèrement en
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