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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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ma poitrine.
     
    Je suis retourné m’asseoir à la table et j’ai été emporté par la voix qui jaillissait des pages du livre. Je n’étais plus enfermé dans cette chambre, je n’avais plus devant moi un ciel vide :
    « Un trône était dans le ciel, et quelqu’un assis sur le trône… Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres. Il y a devant le trône sept torches d’un feu ardent qui sont les sept esprits de Dieu. »
     
    J’ai lu et relu jusqu’à l’aube.
    J’ai vu ouvrir les sept sceaux qui scellaient le Livre.
    Du premier est sorti un cheval blanc, et « celui qui était dessus avait un arc. On lui a donné une couronne et il est sorti vainqueur et pour vaincre ».
    Du deuxième a bondi un cheval rouge. « Celui qui était dessus, on lui a donné d’ôter la paix de la terre, que les gens s’entr’égorgent, et on lui a donné un grand sabre. » C’est le cheval de la violence et de la guerre.
    Le cheval noir qui sort du troisième porte la famine, et le quatrième a le pelage blême, « et celui qui était dessus s’appelait la peste ».
    Du cinquième s’élèvent les plaintes des « âmes de ceux qui ont été égorgés à cause de la parole de Dieu ». Ils réclament vengeance, et « leurs frères vont être tués comme eux ».
    Quand on a ouvert le sixième sceau, ç’a été « une grande secousse, le soleil a été noir comme un sac de crin, la lune entière a été comme du sang ».
    Et quand on a brisé le septième, ç’a été le silence dans le ciel. « Et j’ai vu et entendu un aigle voler au zénith et dire à grande voix : “Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre !” »
     
    Où est l’espérance ?
    S’élancent vers moi les chevaux de l’Apocalypse, blanc, rouge, noir, blême.
    Est-ce là ma vie, est-ce là la Vie ?
    Le salut ne venant qu’après la mort ?
    Pourquoi naître si c’est pour mourir ?
     
    Je lis : « Les sept tonnerres font parler leurs voix. »
    Les villes sont détruites, « ç’a été des éclairs, une secousse et une grande grêle…
    « Et on a vu un grand signe dans le ciel, une femme vêtue de soleil, avec la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête.
    « Elle est enceinte, elle crie dans les douleurs, en tourments d’enfanter.
    « Un dragon rouge se tient devant la femme qui va enfanter pour dévorer son enfant quand elle enfantera. »
    J’ai refermé le livre de l’Apocalypse, l’ai violemment repoussé et il a chu sur le sol de dalles rouges.

6
    Rouge a été la couleur de l’aube, au terme de cette nuit-là.
    J’ai quitté l’hôtel afin de m’arracher aux marécages de l’insomnie, mais, tout à coup, je me suis affolé.
    Je suis retourné en courant à l’hôtel, me suis précipité dans l’escalier, bousculant le gardien qui m’interrogeait, ouvrant fébrilement la porte de ma chambre, m’agenouillant pour ramasser le livre de l’Apocalypse que j’avais abandonné sur le sol rouge, et suis resté ainsi, essoufflé, comme en prière, glissant le livre sous ma chemise, rassuré et honteux, le pressant contre moi comme si j’avais souhaité qu’il me pénétrât, que chaque mot, chaque verset devînt partie de mon corps.
    Je suis redescendu, tête basse, mains croisées sur la poitrine, fidèle qui vient de confesser sespéchés, de communier, et j’ai murmuré l’un des versets :
    « Va, prends le livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient sur la mer et sur la terre… Prends-le, dévore-le, il sera amer à ton ventre, mais dans ta bouche il sera doux comme le miel. »
     
    J’ai marché au hasard le long des quais, maugréant, proférant en moi des injures, dents serrées comme si j’avais craint que les mots, s’enfuyant de ma bouche, ne fussent entendus, ne revinssent me frapper comme une malédiction dont Dieu m’eût accablé pour me faire éprouver Sa présence, Sa puissance.
    Je me suis arrêté çà et là, observant les pêcheurs qui, d’un bond, sautaient de la proue de leurs embarcations au môle où ils les amarraient.
    Qu’étais-je devenu, moi le rigoureux, moi le mécréant, l’esprit fort qui se moquait de cette grenouille de bénitier, Isabelle Chaillou, ma secrétaire, qui ne manquait aucune messe dominicale et dont je disais qu’elle appartenait à une espèce en voie d’extinction, qu’elle était une pièce de musée avec sa petite croix pendue au cou, serrée entre ses énormes seins

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