Catherine des grands chemins
tout le sang avait reflué, on ne voyait plus que la bouche desséchée qui cherchait l'air et les yeux devenus trop grands.
Donatienne, avec un soupir découragé, se détournait pour reposer l'écuelle. Elle se trouva en face de Catherine. Ses yeux fatigués se mirent à briller, de joie et de larmes à la fois.
— Dame Catherine, balbutia-t-elle. Dieu soit loué ! Vous arrivez à temps.
Vivement, Catherine posa un doigt sur ses lèvres pour recommander le silence à la vieille femme, mais celle-ci secoua la tête tristement.
Oh ! nous pouvons parler. Elle n'entend pas. La fièvre est si forte que lorsqu'elle parle, c'est pour délirer.
En effet, quelques mots sans suite s'échappèrent des lèvres parcheminées de la malade, mais, parmi eux, Catherine, bouleversée, distingua son nom et celui d'Arnaud... La quinte de toux qui avait secoué si brutalement le vieux corps exténué se calmait peu à peu. Le visage d'Isabelle reprenait graduellement une couleur moins violente, mais la respiration demeurait forte et rauque. L'expression des yeux était celle de la supplication. Dans son délire, Isabelle semblait souffrir affreusement et Catherine sentit qu'elle était la cause de cette souffrance.
Doucement, elle prit la main brûlante qui se crispait sur le drap rude, y posa ses lèvres puis l'appuya contre sa joue comme, si souvent, elle l'avait fait naguère.
— Mère, pria-t-elle doucement. Mère, écoutez-moi. Regardez-moi. Je suis là... près de vous. C'est moi, votre fille. C'est Catherine...
Catherine.
Quelque chose parut s'animer dans le regard vague et douloureux.
La bouche se ferma puis se rouvrit, souffla :
— Ca... therine.
— Oui, insista la jeune femme. C'est moi... Je suis là.
Les yeux tournèrent dans leur orbite, leur regard parut se fixer, glissa vers la jeune femme qui se penchait en étreignant les doigts desséchés.
— C'est pas la peine, dame Catherine, murmura Donatienne d'un ton navré. Elle n'est plus là.
— Mais si. Elle revient. Mère ! Regardez-moi. Vous me reconnaissez ?
Toute sa volonté était tendue, bandée pour tenter d'atteindre la pensée flottante de la malade. Elle souhaitait tellement faire passer ses forces, à elle, dans ce corps exténué qu'elle avait l'impression d'un courant de chaleur unissant leurs mains. Une fois encore, elle supplia
:
Regardez-moi. Je suis Catherine, votre fille, la femme d'Arnaud. Un frisson courut sous la peau sèche d'Isabelle à ce nom. Son regard, net cette fois, se posa sur le visage anxieux de la jeune femme.
— Catherine, fit-elle dans un souffle... Vous êtes revenue ?
— Oui, Mère... je suis revenue. Et je ne vous quitterai plus., plus jamais.
Les yeux sombres de la malade la regardèrent avec une anxiété nuancée de doute.
— Vous... resterez ? Mais... ce jeune homme... Brézé ?
— Il a pris ses rêves pour une réalité. Je ne le reverrai plus. Je suis Catherine de Montsalvy et je le resterai, Mère. Je suis « sa » femme...
Rien que sa femme !
Une intense expression de béatitude et de soulagement détendit les traits de la malade. Sa main, qui s'agrippait à celle de Catherine, se fit molle et souple, un léger sourire entrouvrit ses lèvres.
— Dieu soit béni, soupira-t-elle. Je peux mourir en paix.
Elle ferma les yeux un instant, les rouvrit et regarda Catherine avec tendresse. Elle lui fit signe de se pencher vers elle et, mystérieusement :
— Je l'ai revu, vous savez.
— Qui, ma Mère ?
— Lui, mon fils. Il est venu à moi... Il est toujours aussi beau. Oh oui ! Tellement beau !
Une violente quinte de toux lui coupa la parole brutalement. Son visage s'empourpra, le regard vacilla. La pauvre femme retomba en arrière luttant contre l'étouffement. L'instant de rémission était passé.
Donatienne s'approcha avec sa tasse.
— Le mire dit qu'il faut lui faire boire, quand elle tousse, une décoction de coquelicot, de mauve et de violette séchés, mais ce n'est pas facile.
Avec l'aide de Catherine, elle parvint tout de même à faire avaler à la malade quelques gouttes du liquide. La toux se fit moins caverneuse. Peu à peu, le corps crispé se détendit, mais les yeux ne se rouvrirent pas.
— Elle va peut-être dormir un peu, chuchota Dona- tienne. Allez vous reposer aussi, dame Catherine. Ce long voyage a dû vous fatiguer. Je veillerai bien encore jusqu'au matin.
— Vous êtes exténuée, Donatienne.
— Bah ! je suis solide, fit la vieille paysanne avec un courageux
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