Catherine des grands chemins
aperçut, lui adressa l'ombre d'un sourire puis brièvement :
— Vous ne pouvez pas comprendre, ami Tristan. Je vous expliquerai.
Il salua, sans répondre, et, devinant qu'il serait sans doute de trop dans ce qui allait suivre, demanda que l'on voulût bien le conduire à un endroit où il pourrait faire reposer ses hommes et se reposer lui-même. Gauthier montra un gros moine ensommeillé, qui bâillait à se décrocher la mâchoire à quelques pas derrière eux.
— Voilà le Frère Eusèbe, le portier, qui va s'occuper de vous. Les bêtes iront à l'écurie, les hommes trouveront de la paille dans une grange et vous aurez une cellule.
De nouveau Tristan s'inclina devant Catherine puis suivit le frère Eusèbe, ses hommes sur les talons. La jeune femme franchit, non sans émotion, le seuil de cette maison des hôtes qu'elle avait quittée, tant de mois auparavant, avec Arnaud et Cadet Bernard, pour gagner Carlat et ce qu'elle pensait être le bonheur. Mais elle chassa, de toutes ses forces, les images déprimantes. Pour ce qui l'attendait ici, elle avait besoin de tout son courage.
Dans le petit vestibule aux voûtes basses, elle regarda Gauthier.
— Mon fils ?
— Il dort, à cette heure.
— Laisse-moi le voir. II y a si longtemps...
Gauthier eut un bref sourire, et prit Catherine par la main.
— Venez. Cela vous donnera du courage.
Il la conduisit dans une petite pièce obscure dont une porte ouverte donnait sur une autre chambre, faiblement éclairée celle-là, dans laquelle Catherine aperçut Donatienne, la femme de Saturnin, endormie sur une bancelle. Le reflet de la chandelle accusait la fatigue sur les traits usés de la vieille femme. Gauthier la désigna d'un geste, murmura :
— Voilà trois nuits qu'elle veille notre dame. D'habitude elle dort auprès du petit seigneur. Elle s'est endormie.
Tout en parlant, il prenait une chandelle sur un coffre et, doucement, allait l'allumer à la torche qui brûlait au-dehors près de la porte. Puis il revint se placer à la tête du lit où dormait le petit Michel, levant la flamme tremblante au-dessus de la tête de l'enfant. Catherine, émerveillée, se laissa tomber à genoux, joignit les mains comme devant le tabernacle.
— Mon Dieu ! balbutia-t-elle... Comme il est beau ! Et... comme il lui ressemble déjà, ajouta-t-elle d'une voix enrouée.
C'était vrai. Sous la forêt drue de ses boucles dorées en désordre, le petit Michel avait déjà le profil net de son père. Ses joues, rondes et roses, où de grands cils courbes mettaient une ombre tendre, étaient toute douceur enfantine, mais le petit nez avait de la fierté et un pli volontaire marquait la bouche bien close.
Le cœur de Catherine fondait de tendresse, mais elle n'osait pas se pencher sur le petit. Il avait l'air d'un angelot endormi et elle craignait que le moindre mouvement ne l'éveillât.
Gauthier, qui regardait lui aussi l'enfant avec une sorte d'orgueil, s'en aperçut.
— Vous pouvez l'embrasser, dit-il en souriant. Quand il dort la foudre peut tomber, il ne bronche même pas.
Alors, elle se pencha et, avec adoration, colla ses lèvres au petit front un peu moite. En effet, Michel ne s'éveilla pas, mais un sourire détendit sa petite bouche serrée.
— Mon petit, chuchota Catherine étranglée d'amour... mon tout petit !
Elle serait bien restée là toute la nuit, agenouillée auprès de son fils, à le regarder dormir, mais, dans la chambre voisine, un râle s'éleva. Donatienne, réveillée en sursaut, se précipita vers le fond de la pièce et ne fut plus visible.
— Dame Isabelle a dû s'éveiller, souffla Gauthier.
— J'y vais, dit Catherine.
Maintenant, un tragique bruit de respiration parvenait jusqu'à elle, entrecoupée d'une toux sèche et de rauques sifflements.
Elle courut vivement dans la chambre, à peine plus grande qu'une cellule monacale, à peine moins nue. Sur le lit étroit qui occupait un coin, Isabelle de Montsalvy était étendue très amaigrie. Donatienne se penchait sur elle essayant de lui faire boire un peu de tisane fumante contenue dans une écuelle qu'elle venait de prendre sur un petit réchaud à huile.
Mais la vieille femme étouffait, incapable d'avaler même une goutte. Catherine, le cœur serré, se pencha sur le visage empourpré.
Comme elle avait vieilli, comme elle s'était amenuisée depuis son départ et comme, maintenant, elle semblait frêle ! Son corps paraissait vidé de toute substance et, dans le visage où
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