Catherine et le temps d'aimer
Donatienne... et tous les gens de Montsalvy qui, peu à peu, retrouvent le bonheur de vivre et leur joie d'être tes vassaux.
Les terres revivent... et les moines de l'abbaye construisent un nouveau château, près de la porte sud, pour que château et village puissent mieux se porter secours si revenait le danger...
Tandis que Catherine parlait, le décor enchanteur mais étranger s'effaçait pour les deux époux. À la place du palais rose, de la végétation exubérante, des eaux dormantes, c'était la vieille Auvergne qu'ils voyaient devant eux, avec ses plateaux écartelés de vents, ses lointains bleus, ses eaux rapides et sauvages, ses noires et profondes forêts, son sol rude où mûrissaient mystérieusement l'or, l'argent et les pierres brillantes, avec ses bœufs roux et ses paysans butés mais fiers, ses couchants empourprés, ses aurores fraîches, la douceur mauve de ses crépuscules et les longues écharpes de brume au flanc des vieux volcans éteints...
Sous la main de Catherine, le bras d'Arnaud frémit, céda. Leurs doigts, un instant, se cherchèrent, tâtonnant comme des aveugles cherchant la lumière, se nouèrent. Le contact de la paume dure et chaude d'Arnaud fit courir un frisson de joie jusqu'au cœur de Catherine.
— Ne veux-tu donc plus revoir tout cela ? Il n'est point de prison dont on ne puisse s'échapper, sauf le tombeau, murmura-t-elle.
Rentrons chez nous, Arnaud, je t'en supplie...
Il n'eut pas le temps de répondre. Brusquement, le mirage s'évanouit, le charme vola en éclats. Précédée d'une cohorte d'eunuques porteurs de torches et flanquée de Morayma, Zobeïda venait d'apparaître sous le portique et s'avançait le long du bassin. L'eau sembla prendre feu, la nuit s'effaça, les mains, unies la minute précédente, se séparèrent.
Les yeux sombres de Zobeïda se posèrent d'abord sur Catherine avant de revenir, interrogateurs, sur Arnaud. Au froncement de sourcils qui avait accompagné ce regard, Catherine comprit que la Mauresque s'étonnait de la trouver encore vivante. Elle s'expliqua d'ailleurs plus clairement :
— Tu as pardonné à ta sœur, mon seigneur ? Sans doute avais-tu tes raisons. D'ailleurs, ajouta-t-elle avec une perfidie calculée, j'en suis heureuse car mon frère t'en sera reconnaissant. Son retour est annoncé. Demain, cette nuit peut-être, le Commandeur des Croyants regagnera Al Hamra ! Nul doute que sa première pensée ne soit pour sa bien-aimée...
À mesure que parlait Zobeïda, Catherine voyait, navrée, se détruire sous ses yeux tout ce qu'elle venait de reconquérir. La main d'Arnaud ne tenait plus la sienne et la colère, de nouveau, habitait son regard.
La réalité avait repris ses droits avec ses personnages impossibles à effacer : le Calife et sa sœur. Catherine, pourtant, voulut encore lutter.
— Arnaud... supplia-t-elle, j'ai encore tant de choses à te dire...
— Tu les lui diras plus tard ! Morayma, emmène-la maintenant chez elle et veille à ce qu'elle soit prête si mon noble frère revient !
— Où l'emmènes-tu ? interrogea sèchement Arnaud. Je veux savoir !
— Tout près d'ici. La chambre qui sera la sienne donne sur ce jardin. Vois comme je suis bonne pour toi ! je loge ta sœur chez moi pour que tu puisses la voir. Dans l'enceinte même du harem où tu n'as pas le droit de pénétrer, ce serait impossible... Laisse-la aller, maintenant. Il est tard, la nuit s'avance, on ne peut causer jusqu'à l'aube...
Oh ! cette voix ronronnante, endormante et persuasive ! Qui donc, en l'entendant, eût supposé, rien qu'un instant, qu'elle portait son poids total de perfidie et de haine ? Arnaud, pourtant, commençait à connaître Zobeïda.
— Tu es bien conciliante, tout à coup ! Cela ne te ressemble guère.
La princesse haussa les épaules et répondit, suave :
— Elle est ta sœur et tu es mon seigneur ! Cela dit tout.
Sur un homme normalement constitué, il est bien rare que la flatterie ne porte pas et, à cet instant, Catherine, inquiète, déplora qu'Arnaud fût tellement normal et eût conservé une telle dose de naïveté. Il semblait satisfait d'entendre Zobeïda s'exprimer avec cette modération.
Catherine, elle, n'était pas dupe. Si la Mauresque faisait patte de velours, il fallait redoubler de vigilance et sa soudaine mansuétude ne lui disait rien qui vaille. Le sourire, la voix charmeuse ne démentaient pas la dureté calculatrice du regard. Les nombreuses épreuves subies par Catherine lui
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