Emile Zola
significatif. Combien il diffère, sur ce point, de Victor Hugo, avec lequel il a tant d'affinités descriptives, coloristes, grandiloquentes et outrancières. «J'aime mieux tout tirer de moi que de le tirer des autres,» a-t-il dit, non sans quelque infatuation, car, en littérature aussi, on est toujours, comme dit Brid'oison, fils de quelqu'un.
Dans un «interview» que j'ai dirigé, surveillé, et révisé, en 1880,-le terme n'était pas bien connu, mais ce genre d'article anecdotique, et cette indiscrétion consentie existaient déjà, à cette époque,-mon collaborateur au Réveil, Fernand Xau, publia la réponse suivante de Zola à une question sur ses études :
Je n'entrai en huitième qu'à l'âge de douze ans passés. C'était un peu tard pour commencer le latin. Aussi, quand, à dix-huit ans, ma mère me conduisit au Lycée Saint-Louis, à Paris, j'en étais seulement à ma seconde.
Bon élève, à Aix, où je remportai des succès, sinon éclatants, du moins estimables, je devins mauvais élève, à Paris...
Ici, une observation d'ordre général, qui a son intérêt pour le maintien des bonnes études et le développement universitaire de notre pays. Paris est un mauvais centre d'études. Écoliers ou étudiants, les jeunes gens s'y trouvent dans un milieu mal disposé pour le travail. Il se rencontre trop de distractions et trop de motifs de dissipation, dans la grande ville. Au moyen âge, l'Université de Paris a pu être un puissant foyer de lumières théologiques et philosophiques, un admirable atelier où s'élaborait le grand oeuvre du savoir. Mais la vie qu'on y menait, malgré ribaudes et tavernes, avait toute la rudesse monastique. On a conservé les règles et les us des escholiers de la rue du Fourre ; la discipline des couvents sévères y régnait, avec la ponctualité et l'isolement de la caserne.
Dans les milieux modernes, l'étudiant, le lycéen, sont trop exposés à la promiscuité mondaine, au voisinage bruyant. Paris, sans doute, à raison de la haute valeur des maîtres qui sont sélectionnés, et par suite de l'agglomération des élèves les mieux doués, remporte des succès dans les concours. Mais ce sont des supériorités exceptionnelles. Le niveau général des études y est au-dessous de la moyenne. L'apprentissage de l'étudiant ne saurait se faire dans une cité anormale et monstrueuse, où le tapage des gens en fête domine. Il y a trop de musiques dans l'air, trop de passants dans les rues, trop de flamboiements aux vitrines et trop de tentations à tous les carrefours, pour qu'on puisse étudier, avec application et profit, au milieu de ce tohu-bohu.
Les grandes universités allemandes, pierres d'assises solides de la puissance germanique, sont toutes situées dans des villes secondaires et calmes, Heidelberg, Königsberg, Leipsick, Iéna. Il roule trop de véhicules, tramways, coupés, fiacres, autobus, par les voies parisiennes, pour qu'on y jouisse du recueillement indispensable à qui veut apprendre. Les facultés, les collèges, les instituts, ne devraient ouvrir leurs doctes salles que sur des rues où l'herbe pousse. Par crainte des troubles de la place publique et des tumultes populaires, on a relégué l'assemblée nationale française, lorsqu'il s'agit de donner une constitution ou d'élire le chef de l'État, dans la ville morte du grand Roi. Il n'y a nulle utilité à ce que les Facultés de droit, de médecine, et même les lycées d'internes de l'Académie de Paris, soient à proximité des boulevards. À Versailles conviendrait parfaitement ce rôle de cité universitaire. Ce serait l'Oxford et l'Heidelberg français.
L'écolier Zola appuie, de son exemple, cette argumentation. Si le lauréat d'Aix, ville paisible, s'était mué en cancre parfait, à Paris, c'est que l'atmosphère capiteuse du milieu produisait son effet accoutumé. Ce n'était pas la fête ambiante qui le troublait, le détournait, mais l'ivresse intellectuelle même de Paris. Le rhétoricien provençal se dégoûtait des monotones et fades occupations universitaires ; il s'abandonnait à ses rêves de gloire littéraire ; il se livrait à des lectures en dehors des «matières» imposées pour le baccalauréat.
Dans l'interview, que j'ai indiqué plus haut, et auquel j'aurai plusieurs fois recours, car ayant été publié, sous les yeux de Zola, il y a vingt-huit ans, il constitue un document quasi autobiographique de la plus grande sincérité, l'écolier
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