Emile Zola
ces vieilles prostituées, devenus aisés par le travail et la spéculation, se font banquiers, entrepreneurs, ingénieurs, négociants, avocats. Il en est qui deviennent juges, d'autres représentent la reine.
Trois générations à peine ont passé, et les tares héréditaires ont disparu, à la surface tout au moins, et c'est ce que demande la société. Ces héritiers des pickpockets de Londres ont, sans doute, au fond de l'âme, de mauvais ferments ; mais ils les contiennent, ils les dissimulent. Ils auraient pour aïeux nos barons et nos chevaliers, qu'ils ne différeraient sans doute pas beaucoup. Ils ont acquis l'hypocrisie sociale, et cela suffit.
Ces descendants des convicts d'Australie ont une hérédité aussi fâcheuse que toute la lignée d'Adélaïde Fouque, et, parmi eux, s'il se trouve, comme partout ailleurs, des débauchés, des voleurs, des meurtriers, des névrosés, il se rencontre aussi, et en grande majorité, des gens honnêtes, respectables, des travailleurs sobres, des commerçants loyaux, d'excellentes mères de familles et des citoyens qui ont constitué un parlement.
Bientôt, en poursuivant leur séparation d'avec l'empire britannique, ils auront réalisé ce noble rêve d'avoir une patrie, sans les proclamations d'un Washington, sans l'épée d'un Rochambeau. Les bandits de Londres ont donc fait souche d'honnêtes gens. Malgré les antécédents déplorables, leurs fils, étant à l'abri du besoin et ainsi protégés contre les tentations de la misère, sont devenus des habitants laborieux, respectueux de la propriété, des administrés paisibles, soucieux d'éviter tout conflit avec les autorités et les lois. Comme les plus actifs poisons se dissolvent dans l'eau, ou s'atténuent par des mélanges propices, dans des bouillons de culture favorables, les tares de l'hérédité finissent donc par perdre de leur nocivité, et par se dissoudre dans la culture civilisatrice. La damnation du vice, de la criminalité, de la misère, a pour baptême purificateur le bien-être, le loisir et la satisfaction, au moins relative, des appétits, des instincts et des aspirations. Le monstre héréditaire peut, après une ou deux générations, se trouver rectifié par une orthopédie spéciale, et la plante humaine la plus sauvage apparaît cultivable, par une greffe lente et appropriée, susceptible de donner de bons fruits.
Zola a ainsi exagéré la portée de la loi biologique de l'hérédité. Il a, du reste, sinon corrigé, du moins compensé cet exclusiviste et attristant jugement, dans plusieurs de ses dernières oeuvres, notamment dans Travail.
La science, l'adaptation de la méthode expérimentale des biologistes, des physiologistes, des chimistes et des physiciens au roman, et l'on pourrait ajouter au théâtre et à l'histoire, voilà donc ce que représente ce terme si tapageur de Naturalisme, jeté dans la littérature comme un pavé dans une vitrine.
Le Naturalisme fut un de ces vocables mal employés, et sans grand sens d'étymologie, qui servent un temps à la désignation des partis. Les combattants de l'art, comme ceux de la politique, ont recours à ces pavillons distinctifs, combinés à l'aventure, suivis au hasard. Ce sont des fanions de bataille. Ils ne servent plus, l'affaire terminée : la dislocation des troupes accomplie, les vaincus conspués et terrés, les chefs victorieux promenés sous des arcs de triomphe, on efface le plus qu'on peut l'inscription malchanceuse, et l'on brûle, après les avoir déchirés, les drapeaux de la défaite. Dans l'ombre, cependant, de futurs vainqueurs vagissent, sentent croître ongles et dents, et se disposent à mordre et à déchirer les aînés vainqueurs, en acclamant un nouveau vocable, en arborant des flammes et des inscriptions inédites. Ils recommencent la bataille avec une qualification toute neuve, tandis que disparaît sous les opprobres celle dont se paraient les autres triomphateurs, à leur tour vaincus et insultés.
Ces désignations, purement nominales, et qui ne représentent rien autre que les passions et les goûts de l'instant où elles sont lancées dans la vie publique, parfois au hasard et par le caprice d'un parrain demeuré anonyme, sont des moyens de classement et des procédés mnémotechniques.
Elles se distribuent souvent à tort. La plupart du temps, elles soulèvent des protestations et des résistances de la part de ceux à qui on les applique, comme des papiers de police mensongers et de faux
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