Emile Zola
successives du sol, qui révèlent, par leur stratification, les terribles combats et les enfantements déchirants ayant accompagné toutes ces formations superposées dans le cours des siècles.
Les romantiques ont assailli et submergé les classiques ; à leur tour, les romantiques ont été recouverts par le flot naturaliste, et voici que déjà ce courant a passé, et que, sous nos yeux, la littérature continue à couler : le fleuve est le même, les ondes fluviales seules ont changé.
La répercussion des épithètes dans le langage courant, dans les opinions circulantes, se prolonge pourtant, et souvent faussement.
Pour les romantiques, qu'on se figure toujours chevelus et échevelés, portant le «pourpoint cinabre» sans lequel on était honni, et acclamant à tort et à travers les tirades d'Hernani,-«vieil as de pique ! il l'aime !»-les auteurs rangés parmi les classiques étaient des podagres cacochymes, ensevelis sous de volumineuses perruques ; pour les naturalistes, les ménestrels du romantisme ne hantaient que les tourelles moyenâgeuses, sonnaient du cor perpétuellement, et ne sortaient qu'en compagnie de gentilshommes habillés de ferblanterie.
À leur tour, les naturalistes ont connu ces exagérations railleuses. À entendre les réacteurs de l'idéalisme, de la psychologie élégante et de la bavarderie mondaine,-il faut se souvenir que Bourget, talentueux d'ailleurs, se présenta à l'Académie contre Zola et fut élu,-le naturalisme a pour équivalents le grossier, le malodorant, l'immonde. Ce terme de jargon, scientifico-littéraire semble vouloir dire, en langage ordinaire : cochonnerie. Les livres de Zola ne pouvaient se lire qu'un flacon d'ammoniaque à la main, disait-on. Ses disciples étaient qualifiés de scatologues. Leurs ouvrages sortaient des sentines, et, en se tamponnant les narines, on écartait ces produits évocateurs de la vidange. Comme tout cela est loin, est bête, paraît vieillot ! comme le temps se charge de tout remettre en sa place, et de dissiper les parfums fâcheux. Le vidangeur en chef, Émile Zola, est aujourd'hui en bonne odeur de popularité. Il est devenu grand homme officiel.
De cela, ses vrais, sincères et purement littéraires amis, parmi lesquels je m'honore d'être, se soucient peu. Ce n'est pas le Panthéon, glorieux bloc, qui ajoutera une pierre au monument colossal érigé par Zola. L'homme de lettres puissant, l'un des plus vigoureux remueurs de mots, et, par conséquent, d'idées, que le XIXe siècle ait produit, n'a nul besoin pour apparaître grand d'être juché sur un socle officiel, et d'être mis au rang du bon Sadi-Carnot, béatifié par le couteau imbécile d'un Italien surexcité.
Émile Zola est en passe de devenir un autre classique. On l'expurgera peut-être, avant de le donner à commenter dans les pensionnats de demoiselles, où pourtant l'on connaît Molière et son mari imaginaire, mais on l'expliquera, on l'apprendra par coeur et l'on donnera ses meilleurs ouvrages en prix aux meilleurs élèves.
Ainsi en est-il arrivé pour Hugo, son devancier, son camarade de Panthéon. Nous étions, dans ma jeunesse, «collés» si, au lycée, nous citions un vers ou même le nom de ce Victor Hugo, qui épouvantait notre excellent professeur de rhétorique, le racinien Deltour. Aujourd'hui, peut-être avec l'assentiment de Deltour, qui est devenu inspecteur général de l'Université, et ordonne les programmes de classes, les Feuilles d'Automne par exemple, sont devenues tellement classiques que les élèves bâillent en apprenant par coeur ces morceaux, comme si c'était du Boileau. Dans quelques années, quand le rôle militant du Zola des dernières années sera effacé, oublié, et même justement dédaigné, on donnera comme morceaux de récitation aux enfants des écoles, des pages de la Fortune des Rougon, de la Faute de L'abbé Mouret, de la Débâcle, ou de Travail. Zola sera devenu, à son tour, comme il le mérite, un classique ! on le traitera comme un maître, c'est-à-dire qu'on ne le lira plus en cachette, dans l'entrebâillement des pupitres, durant les heures d'études. Il sera imposé comme un modèle aux bons élèves, et ceux-ci le traiteront de pompier et s'efforceront de ne le point imiter. Ainsi s'accomplissent les temps.
Le Naturalisme, c'est-à-dire l'oeuvre de Zola, a consisté dans un système de composition littéraire, et pour ainsi dire, dans un parti pris, dans un procédé de rhétorique nouveau,
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