Emile Zola
damnation serait, non point le péché, mais la vie même.
Ce serait épouvantable, et l'innocent réprouvé n'aurait même point le droit de maudire une divinité cruelle et injuste, ni de nier un dogme absurde et sauvage, puisque ce serait la vérité, et la science qui, sans avoir édicté la pénalité, en établiraient l'existence.
Ce fatalisme n'est heureusement pas aussi absolu ; et l'évasion n'est pas impossible aux condamnés de l'atavisme. L'homme, grâce aux conditions meilleures de l'existence, à l'aide de soins appropriés, par les moyens curatifs que la science lui fournit, dans l'ordre physique, et par la culture intellectuelle, par l'enseignement reçu, par le travail et le bien-être acquis, par toutes les organisations de prévoyance et toutes les ressources d'éducation et d'instruction que la civilisation, le progrès moderne, et surtout les institutions démocratiques mettent à sa disposition, dans l'ordre psychologique, dans le domaine de l'intellect et de la conscience, peut se soustraire aux conséquences de l'hérédité.
Zola, surtout dans les premières heures de son travail, où la physiologie semblait servir de guide à sa littérature, a certainement accordé trop d'importance aux influences ancestrales. Il n'a voulu voir que les transmissions de tares et de prédispositions morbides, et il a trop négligé d'observer le déterminisme moral, provenant des conditions sociales et individuelles, au milieu desquelles le sujet humain évolue.
L'homme, dans bien des cas, puise dans un sentiment tout personnel, égoïste, ambitieux ou indolent, parfois capricieux et illusoire, car les rêveries gouvernent aussi l'âme humaine, la force nécessaire pour réagir contre les pressions de l'hérédité morbide, de l'hérédité anormale.
L'homme est curable et perfectible dans le plus grand nombre des cas. La société n'eût pas vécu, si les tares physiques et les vices psychologiques n'avaient pu être atténués, dilués, guéris. Nous avons, tous les jours, sous les yeux des exemples de ces résistances aux phénomènes héréditaires.
Des fils de tuberculeux, d'anémiés, habitant des logements insalubres, ou exerçant des professions malsaines, se transforment assez rapidement en travailleurs bien portants, si la lumière et l'air viennent assainir les masures natales, si, tout jeunes, on les envoie travailler aux champs, ou s'ils exercent quelque métier sain et fortifiant. Dans l'ordre de la conscience, des rejetons de coquins et de paresseux, arrachés à la contagion du milieu, à la promiscuité vicieuse et criminelle, deviennent très souvent de probes ouvriers. Des populations entières, aux tares héréditaires indéniables, peuvent être profondément et promptement améliorées. L'Angleterre expédia par delà les mers, il y a une soixantaine d'années, le rebut de sa plèbe, les déchets sociaux de Londres et de ses cités manufacturières, des filous et des prostituées. Toute cette cargaison avariée et contagieuse est débarquée sur le sol neuf de la Nouvelle-Hollande. On ne sait trop ce qu'il adviendra de ces vagabonds et de ces voleurs, tous urbains, à qui l'on donne pour travail et pour pâture un sol infertile, des roches, du sable, à défricher, à fumer, sans outils, sans engrais. Le courage et l'espoir ne peuvent se trouver dans le cœur de ces misérables. On s'en est débarrassé. Le but est atteint. La pratique métropole n'a pas à faire du sentiment et de la générosité à l'égard de ces convicts ; ne sont-ils pas incapables de relèvement, d'une amélioration quelconque ? La loi divine, comme les jugements des tribunaux, les condamnent à une irrémédiable déchéance ; ils sont perdus, damnés, et nulle rédemption n'est supposable.
Il faudrait être fou pour supposer que cette terre de désolation, cette Australie utilisée comme bagne, pût produire autre chose que des serpents, des anthropophages et de petits voleurs, fils de voleurs, promis à la potence s'ils osaient jamais reparaître en Angleterre.
Mais des gisements d'or sont découverts. Les émigrants affluent. Les convicts déportés, occupant le territoire, bénéficient des premiers filons. Les uns commencent à creuser, à extraire des pépites ; les autres louent leurs bras, installent de petits commerces de denrées et d'outils, de boissons ou de vêtements. Ils réalisent des sommes plus ou moins importantes. Des villes se fondent, où les fils de ces anciens voleurs et de
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