Histoire De France 1618-1661 Volume 14
admirateur des Jésuites, et spécialement de leur pédagogie, n'ignorant nullement le secret de leurs succès, comprit qu'au goût du roi c'était un vrai écolier qu'il fallait [14] . Il le fallait joli,fantasque, vicieux, mais susceptible de réforme, tel que le roi entreprît de le castoyer et de le refaire.Son ami d'Effiat, en mourant, avait laissé un enfant charmant, le jeune Cinq-Mars, et une fille qui épousa la Meilleraye, parent de Richelieu. Cinq-Marsétait presque allié de celui-ci. Il arrivait à dix-sept ans. Il allait porter l'épée et entrer dans les grades. Nouvel amusement pour le roi, né caporal, et qui neparlait que de soldats, même à mademoiselle de Hautefort. La vive demoiselle endurait cet excès d'ennui assez patiemment. Mais combien mieux le roi pouvait-il parler d'armes, de chasse et de tout à un jeune militaire! Donc, le cardinal le lança, bien instruit, bien stylé, pour observer le roi d'abord, et peu à peu pour lui plaire s'il pouvait.
Le roi vit bien venir la chose, et, trouvant cet enfant qui dormait ou faisait semblant dans les coins des appartements, il devina qu'il dormait pour le cardinal, pour écouter et rapporter. Cela même lui donna pitié de la jeune âme qu'on corrompait ainsi, et qui, logeant dans ce beau corps, devait être mieux douée de Dieu, appelée par lui à autre chose. De là une tentation naturelle de convertir Cinq-Mars et d'en faire un honnête garçon, un parfait gentilhomme. Il était tard. Car l'étourdi était déjà fort engagé dans la jeune société noble du temps, le monde du Marais , comme on disait, autrement dit des élégants, des esprits forts, des gens qui ne croyaient à rien et ne se gênaient guère.
Cette préoccupation du roi commence vers juin 1639 au siége d'Hesdin, où mademoiselle de Hautefort n'avait pu venir. Il y prit habitude d'avoir toujours là Cinq-Mars pour le prêcher. Et voilà qu'il ne pouvait plus s'en passer. À la moindre absence, il criait: «Où est Cinq-Mars?» Richelieu usa sur-le-champ de cette première fleur de passion. L'enfant gâté dit qu'il aimait le roi, mais voulait être seul, c'est-à-dire qu'il n'aimât plus la Hautefort. Cela promis, ce ne fut plus assez. Pria-t-il? pleura-t-il? On ne sait;mais le roi, pour l'apaiser, eut la faiblesse de promettre qu'il la chasserait de la cour. Chose plus facile à promettre qu'à faire. Car nulle précaution n'y servit; elle se mit, malgré tous les ordres, sur le passage du roi, et fit rougir le pauvre Sire.
Le cardinal, vainqueur, ayant un si bon instrument, et sachant que ces choses-là durent peu, poussait son petit homme au grand galop. Il l'engageait à exiger, faire le difficile et se faire valoir. Le roi, ayant voulu lui donner la place qu'avaient eue Saint-Simon, Baradas, le jeune insolent dit: «C'était bon pour eux, de petits gentilhommes.» Il fallut que le roi négociât avec le vieux M. de Bellegarde pour satisfaire sa volonté, qui fut d'abord d'être grand écuyer. Dans la langue de cour, ce petit polisson fut appelé Monsieur le Grand .
Louis XIII avait jusque-là paru un homme sec, mais assez raisonnable. Il avait eu deux lueurs poétiques, l'apparition première de mademoiselle de Hautefort et la transfiguration de Lafayette. Mouvements excusables de cœur, courts élans de jeunesse dans un homme né vieux, mais enfin tout cela était d'humanité, de nature, donc non ridicule. Un côté de son caractère qui l'était davantage, c'est qu'il avait du temps pour tout, sauf pour la royauté. Il écrivait des plans de campagne, envoyait de petits articles à la Gazette de France , faisait de petits airs et des chansons en bouts rimés. Son extrême désœuvrement lui donna parfois des curiosités peu royales, celle, par exemple, d'apprendre la cuisine; il prit des leçons pour savoir larder.
Pauvretés, ennui, innocence. L'excuse, c'était Richelieu, un autre roi, qui, en le consultant toujours avec respect, n'eût pas souffert qu'il fît rien de sérieux.
Ce qui le mit plus bas que sa lardoire, ce fut son radotage pour un enfant qui se moquait de lui. Il donna là des signes d'imbécillité caduque, à quarante ans. Les froideurs de Cinq-Mars, ses rebuffades, un simple oubli d'écrire dans les absences, faisaient pleurer le roi. Mais, quand on voit ses lettres à Richelieu pour faire chapitrer l'écolier, lettres si pesantes et si sottes, on est du parti de l'enfant, on trouve qu'à bon droit il fuyait l'éternelle gronderie et plus encore
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