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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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été toujours croissant.
    L'abondance et surabondance d'une passion si prolixe, qui nous fatigue aujourd'hui, fut justement ce qui ravit. Certes, quand on voit la sécheresse de tous nos romans d'alors, on comprend avec quelle surprise on se trouva dans ces eaux immenses et intarissables, une mer! On se figurait que c'était la mer féconde, une mer de jeunesse et de vie.
    Au fait, l'enfant amoureux parle ainsi,—non,comme on croirait, dans un langage naïf,—mais dans cette rhétorique. Endurons les deux premiers livres. Le vrai sujet ne s'aperçoit qu'au troisième, dans la lettre où Julie dit à Saint-Preux qu'avec un cœur plein de lui, après une lutte cruelle, menée par son père à l' église où elle épouse Wolmar, elle sent son cœur changé tout à coup, pacifié,—changé à ce point qu'elle appelle les devoirs du mariage non pas sublimes seulement, mais (qui le croirait?) si doux !
    Pour faire ressortir encore mieux ce merveilleux coup de la Grâce, elle exagère dans une étrange et choquante déclamation, l'état honteux où elle était avant d'entrer à l'église. «Les transports effrénés d'une passion rendue furieuse... Des horreurs dont l'idée n'avait jamais souillé mon esprit... Mon cœur était si corrompu que ma raison ne put résister aux discours de vos philosophes ,» etc.
    Qu'enseignent donc les philosophes? L'adultère, Julie nous l'apprend [7] . Et elle réfute longuement ce qu'ils n'ont enseigné jamais.
    Mais enfin, de quelque manière qu'elle eût accepté ces doctrines, comment cette pure, cette honnête, cette intéressante Julie, fut-elle alors si corrompue ? «C'est que j'aimais à réfléchir et me fiais à ma raison.»
    Ainsi la charmante femme à laquelle Rousseau nous a tellement intéressés, celle dont notre âme attendrie,aveugle, suit l'impulsion, la prêcheuse , comme il l'appelle, il va faire prêcher par elle ce pitoyable radotage qu'on a tant de fois réfuté. Le mépris de la sagesse, la haine du libre arbitre, le renoncement à l'action, voilà l'enseignement de Julie.
    «Quel est le plus heureux dès ce monde, du sage avec sa raison, ou du dévot dans son délire? qu'ai-je besoin de penser, d'imaginer, dans un moment où toutes mes facultés sont aliénées? «L'ivresse a ses plaisirs,» disiez-vous. «Eh bien, ce délire en est une.»
    Elle recueille le fruit du délire, de l'ivresse, qui est d'oublier, d'ignorer, de se perdre de vue soi-même, d'apaiser sa conscience.
    «Mes réflexions ne sont ni amères, ni douloureuses. Mes fautes me donnent moins d'effroi que de honte. J'ai des regrets, et non des remords .» Pente admirable, rapide. Elle ne se croit pas quiétiste. Elle rit de madame Guyon. Mais madame Guyon elle-même a-t-elle dit davantage? On s'enfonce, non sans volupté, au fond de ce demi-sommeil. Le souvenir, s'il n'est pas douloureux, devient très-doux et Molinos nous apprend qu'on jouit de la honte même.
    Le demi-jour de l'ivresse, l'éloignement pour la lumière, pour la raison, met encore Julie sur une autre pente. La lecture, l'examen des Écritures, ces libertés protestantes, ne lui iront pas longtemps. Il lui faut, dit-elle, un culte grossier . «Par là je me dérobe aux fantômes d'une raison qui s'égare.» (Liv. V, lettre V .)—Et là Rousseau est curieux. Dans une note équivoque, il loue, blâme les catholiques; au total il les loue plutôt.
    Par cette femme adorée, par la belle bouche de Julie, nous reviennent toutes les sottises que Voltaire a pulvérisées dans ses réponses à Pascal trente années auparavant (1734). Et tout cela nous arrive dans cette forme séduisante qu'on ne peut pas repousser. Aux censeurs, on répondrait: «Laissez donc, ce n'est qu'un roman, c'est la langueur passionnée d'une femme qui se croit guérie et qui meurt encore d'amour.»—Oui, laissez... Et tout à l'heure, ce qui passa dans l'abandon, l'amour des molles rêveries, la haine des philosophe et de la philosophie, bref, la réaction chrétienne, va revenir formulée!
    Il y a un homme haïssable dans le livre, c'est le mari.—Comment ce Wolmar si sage, si calme, a-t-il pu de sang-froid, étant si bien instruit d'avance, immoler Julie à son égoïsme, faire le malheur, le supplice de ces deux infortunés? Toutes les phrases de Rousseau pour faire admirer ce sage ne servent guère. On souffre trop à le voir faire sur deux âmes une expérience si longue, avec la curiosité terrible du chirurgien dans ses vivisections.
    L'ingénieux, le

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