Il neigeait
Vélasquez ou par Goya. Chez nous, le portrait devient lisse et flatteur,
c’est le cas des toiles de Gérard ou de Détaille qui nous présentent un Empereur
rajeuni, mince, alerte, quand Veretchaguine le montre épais, bouffi, à la même
époque. Le seul exemple de vérité, nous le trouvons dans le portrait officiel
de Louis XIV : Rigaud a peint le visage du monarque vieilli, mais son
atelier a composé le reste du tableau, collant ce visage sur un corps de jeune
homme ; cela confère à l’ensemble quelque chose de martien, allez le
regarder de près au musée du Louvre. Napoléon ? La question demeure sans
vraie réponse. Son aspect dépend de l’opinion qu’on en a.
Méditez plutôt dans le musée de cire de Marylebone, à
Londres, pour y débusquer des moulages qui laissent pantois. Madame Tussaud,
sous la Révolution, partait dès le matin près des cimetières où l’on
enfouissait les guillotinés de la veille. Elle lavait les têtes coupées,
pleines de sang et de son, appliquait sur ces visages un enduit de protoxyde de
plomb et d’huile de lin, conservait dans un linge l’empreinte qui allait lui
servir de moule pour ses figures de cire. Marat, Philippe-Égalité, Hébert,
Desmoulins, Danton, elle a réalisé à la sauvette ou avec la complicité du
bourreau des masques mortuaires qu’aucun tableau ne remplacera, – ils ne
posaient plus, ils dormaient, le visage fixé par une mort brutale. Je suis
resté fasciné devant la tête moulée de Robespierre, suspendue à l’entrée du
cabinet des Horreurs. La Terreur s’achevait : on sent que Madame Tussaud a
enfin pris son temps. Le portrait est donc très précis, le plus fidèle, dit-on,
de sa collection. Eh bien cette tête tranchée de Robespierre ne correspond pas
aux portraits habituels. Il a ici un visage moins ramassé, le front moins
bombé, des lèvres moins fines, un air presque narquois.
Quand Marcel Brion écrit une vie de Laurent le Magnifique,
il ne se fie pas aux peintres. Gozzoli montre un ange bouclé, blond, vaguement
androgyne, Ghirlandajo un boxeur, Vasari un filou. Brion tombe en arrêt devant
le masque mortuaire : c’est le vrai Laurent, il a quarante-trois ans et
une vie inscrite dans ses rides, le nez tordu, une face carrée, la moustache en
brosse, une bouche large, sans lèvres, mais derrière cette grossièreté
transparaît une invraisemblable sérénité.
Peut-on se faire une idée de Napoléon en considérant son
masque mortuaire ? Même pas. Quand il meurt à Sainte-Hélène, le docteur
Burton n’a pas pu trouver à Jamestown le plâtre nécessaire à la confection du
moulage. Dans un îlot, au sud-est, il y a des cristaux de gypse qu’il envoie
chercher en chaloupe. Il les calcine, les broie, obtient un plâtre gris et
l’apporte à Longwood. La nuit précédente on a tenté l’opération avec de la cire
de bougie, puis une empreinte avec du papier de soie délayé dans du lait de
chaux. Rien de concluant. Burton revient. Napoléon est mort depuis quarante
heures. Les os de la face deviennent saillants. Le visage s’est modifié mais on
réussit un moulage in extremis ; comme la peau s’enlève par endroits, on
ne peut pas recommencer.
Antoine Rambaud, mon arrière-arrière-grand-père, avait
treize ans lorsque Napoléon campait à Moscou. Qu’en a-t-il pensé ? En
a-t-il pensé quelque chose ? Que disait-on dans sa famille
lyonnaise ? Saura-t-on jamais à quoi nous avons rêvé, comment nous avons
vécu, si nous aimions les chœurs cisterciens, les iris et le canard à la
pékinoise ? Saura-t-on nos fatigues, nos joies, nos colères ? Il n’en
restera que quelques aveux, de la mousse. Que raconte le fémur de ce
Mérovingien ? Que nous évoquent ces débris de plat à barbe ? Comment
vivait-on dans les cavernes, le soir, après la chasse à l’auroch ? Le
savant s’interroge, il livre son verdict bientôt contrarié par un autre savant.
Allons ! Nous n’entrerons jamais sous le crâne de nos ancêtres, nous
parvenons à peine à connaître leur apparence. Paul Morand le savait :
« Ceux qui nous suivront seront heureux de nous imaginer tels que nous
n’avons jamais été. » Dans l’une de ses plaquettes jubilatoires, le
Collège de pataphysique donne sa réponse : « L’imaginaire seul attire
les foules vers les champs de betteraves de Waterloo. » Or, l’imaginaire
ne relève pas de l’Université, mais de la légende et du roman. Les
mousquetaires ? C’est à
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