Il neigeait
minuit
sonnent.
Caulaincourt, l’Empereur et Sébastien montent le perron à
double rampe qui donne sur le vestibule du palais. Ils ouvrent une porte,
marchent à grands pas sous les arcades d’une galerie couverte, au
rez-de-chaussée ; les fenêtres s’ouvrent sur les jardins. Ils frappent à
une seconde porte à l’extrémité de cette galerie. Ce sont les appartements de
l’impératrice, autrefois ceux de la Reine, puis ceux où le Comité de Salut
public avait entassé des meubles de Versailles et de Trianon pour y asseoir une
armada de secrétaires. Personne ne répond. Caulaincourt tambourine. Ils
entendent des pas. Un garde suisse aux cheveux gris en bataille, l’œil embué,
entrouvre le battant. Il est en chemise, sa femme aussi, derrière lui,
intriguée ; elle porte une lanterne. Dans le halo, elle s’effraie de la
tenue et de la barbe sale du grand écuyer. Celui-ci montre à nouveau les
broderies de son uniforme que cache la pelisse. Le suisse conserve un air
soupçonneux.
— Je suis le duc de Vicence, grand écuyer de Sa
Majesté.
Dans les pièces attenantes, des bas de robe glissent sur le
parquet, deux femmes de chambre de l’impératrice s’ajoutent au groupe insolite.
L’Empereur ôte son bonnet de fourrure, se défait de son manteau polonais. On le
reconnaît enfin, avec stupeur puis avec joie. Le suisse a des larmes aux yeux.
L’Empereur écarte les serviteurs en disant :
— Bonsoir, Caulaincourt. Vous devez avoir besoin de
repos.
La porte se referme. Le grand écuyer et le secrétaire,
attifés à la cosaque, se retrouvent dans l’ombre de la galerie, avec leurs
grosses bottes sur le plancher ciré.
— Vous savez où aller ?
— Non, monsieur le duc.
— Suivez-moi.
Ils refont le chemin en sens inverse, croisent un valet en
livrée verte de la Cour qui les interroge :
— C’est bien vrai, ce qu’on raconte ?
— Qu’est-ce qu’on raconte ?
— Que Sa Majesté est rentrée.
— Les rumeurs courent, je vois.
— Alors c’est vrai ?
— Venez, dit Caulaincourt au valet, j’ai besoin de
vous.
Le grand écuyer pousse Sébastien dans la malle de poste, le
valet grimpe à côté du postillon. Ils vont chez l’archichancelier Cambacérès,
rue Saint-Dominique, de l’autre côté de la Seine, pour le prévenir du retour.
La voiture file sur le nouveau pont de pierre, en face des Tuileries, passe le
porche de l’ancien hôtel de Roquelaure, acheté puis restauré par Cambacérès qui
aime y donner des repas somptueux et tristes. Au-dessus du portail qu’encadrent
des colonnes doriques, celui-ci a fait inscrire son titre en énormes
lettres : Hôtel de Son Altesse Sérénissime le duc de Parme. Le
portail s’ouvre sur une cour pavée, le bâtiment a deux perrons sur les ailes,
les fenêtres des salons sont éclairées par des lampes jaunes. Caulaincourt et
Sébastien sautent de la chaise de poste, un valet de Cambacérès tente de les
arrêter mais le domestique des Tuileries explique à son collègue de quoi il
s’agit. Ils passent. Dans le grand salon, des messieurs emperruqués d’un autre
temps, en velours et satin, se lèvent de leurs tables de whist en arrondissant
les yeux :
— Qui a laissé venir jusqu’ici ces vagabonds ?
demande l’un d’eux en se collant un lorgnon sur le nez.
— Service de l’Empereur, affirme Caulaincourt d’une
voix forte.
— Qui êtes-vous, à la fin ? interroge un marquis
en gilet rayé.
— Annoncez-moi à Monsieur l’Archichancelier, dit
Caulaincourt au valet des Tuileries, qui part dans le hall de marbre jusqu’au
bureau de Cambacérès, mené par son collègue.
— Insensé ! proteste l’un des invités. Vous vous
trompez d’époque, messieurs. Cet hôtel abritait bien des teigneux, mais sous la
Révolution !
— Je suis le duc de Vicence.
— Vous ?
— Dans cette tenue ?
— Avec cette barbe pouilleuse ?
— Et ce bonnet de sauvage ?
— Monsieur l’Archichancelier attend Monsieur le Duc,
annonce le valet en rentrant au salon.
— Est-ce bien vrai ? demande l’un des messieurs à
Sébastien, que le grand écuyer abandonne pour rendre compte à Cambacérès et
préparer la journée du lendemain.
— Où est l’Empereur ? demande un autre.
— Il lui est arrivé malheur ?
— Nous nous inquiétons depuis hier matin…
— Nous avons lu avec effroi le dernier bulletin du Moniteur !
— N’y aurait-il plus d’armée ?
— Pourquoi Monsieur
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