La Collection Kledermann
voilà que maintenant elle va me détester !
— N’ayez aucune crainte ! Vous pouvez être certain qu’elle a parfaitement compris et ne vous associe en rien à cette stupidité, rassura la vieille fille en posant une main apaisante sur son épaule. Quant à vous, monsieur le professeur de Combeau-Roquelaure, vous savez ce qu’il vous reste à faire ? Mais… où allez-vous comme ça ?
En effet, au lieu d’aller vers la terrasse, il se dirigeait résolument vers la porte derrière laquelle il disparut. Pour reparaître deux minutes plus tard armé d’un plateau sur lequel trônait un seau à rafraîchir contenant une bouteille de champagne, d’origine cette fois, et des verres tulipe. Une serviette sur le bras et, sans regarder personne, il traversa la salle d’un pas solennel, une partie de la terrasse pour finalement mettre genou en terre à côté de l’offensée :
— Pardonnez-moi ! implora-t-il. Vous êtes peut-être un vieux chameau mais moi je suis un vieil imbécile ! Voulez-vous boire avec moi le verre de la réconciliation ?
Elle braqua sur lui le petit face-à-main aux émeraudes qui s’accordait si bien avec le vert de ses yeux, laissa passer quelques secondes puis, moqueuse :
— Savez-vous que c’est un véritable exploit, à votre âge, d’avoir réussi à vous agenouiller chargé de ce plateau et sans rien casser ? Voyons ce que cela va donner en vous relevant ! Si vous y parvenez, je vous pardonne !
L’effort qu’il développa pour retrouver un équilibre vertical l’empourpra et il se mit à tanguer dangereusement. Son fardeau aussi. Ce que voyant, Plan-Crépin accourut à son secours et enleva le plateau qu’elle posa sur une table.
— Ce serait dommage qu’il arrivât malheur à celui-là ! fit-elle. C’est du Dom Pérignon !
— Évidemment ! Il mérite le respect ! Merci, cousin !
En appuyant ses deux mains sur son genou plié, Hubert avait réussi à se relever. Alors Tante Amélie lui tendit la sienne :
— Signons la paix ! sourit-elle. Nous sommes ici pour apprendre ce qui se passe au juste chez les voisins et pas pour nous faire la guerre. Vous en êtes d’accord, Hubert ?
— Ne vous tourmentez pas pour ça, Amélie ! On a de quoi signer quelques armistices : j’en ai fait rentrer trois caisses pour fêter votre arrivée, belles dames ! conclut-il en élevant son verre.
Le soir venu, M me de Sommières, arguant de la fatigue du voyage, se retira dans sa chambre aussitôt après le dîner en prenant soin de laisser « quartier libre » à Marie-Angéline qui brûlait de s’installer dans la tour en compagnie de Cornélius afin d’observer de nuit la villa Malaspina et ses jardins. Elle refusa même son aide pour sa toilette de nuit comme c’était l’habitude lorsqu’on était en voyage. Elle voulait être seule…
Elle se déshabilla, procéda à ses ablutions après avoir ôté le maquillage discret qu’elle s’autorisait, passa une chemise de nuit et un déshabillé en linon bleu pastel puis alla s’asseoir devant la coiffeuse afin de dénouer ses longs cheveux si joliment argentés qu’elle brossa longuement avant d’en faire une épaisse natte qu’elle noua d’un ruban et laissa glisser sur son épaule. Enfin, elle vaporisa un nuage du parfum au jasmin, frais et léger, qu’elle employait pour la nuit.
Quand elle fut prête, au lieu d’aller s’étendre sur le lit dont Marie-Angéline avait fait la couverture, elle éteignit les lumières avant de sortir sur le balcon où elle s’appuya pour contempler le magnifique paysage nocturne étendu à ses pieds…
La nuit était douce comme elle l’était autrefois et les odeurs de chèvrefeuille semblables à celles qu’elle avait respirées alors. En face, de l’autre côté de l’eau caressée par un rayon de lune, le palace brillait de mille feux… Il était trop loin pour que les échos de l’orchestre lui parvinssent, pourtant elle croyait entendre les violons jouer une valse jamais oubliée…
C’était quarante ans plus tôt, cependant elle revoyait choses et gens comme s’ils venaient seulement de se quitter en se souhaitant bonne nuit. Il y avait bal ce soir-là à l’hôtel où elle était de passage pour quelques jours avec un groupe d’amis au cours d’un voyage de découverte des lacs italo-suisses dont Lugano était la dernière étape avant le retour vers Paris. La fête était charmante et tout le monde s’amusait… et puis il y avait eu cet homme qui
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