La Collection Kledermann
s’était incliné devant elle en la priant de lui accorder une valse… Elle avait levé les yeux sur un inconnu dont le regard plongeait dans le sien avec tant de tendresse que drapant d’un geste gracieux sa traîne de dentelle givrée d’éclats de cristal sur son bras ganté, elle l’avait laissé l’emporter…
Elle ne compris jamais de quelle magie il avait usé pour qu’elle se sente si bien dans ses bras… Elle n’était plus une jeune fille à son premier danseur puisque, proche de la quarantaine, elle était veuve depuis dix ans et si elle avait toujours adoré danser, les cavaliers attirés par sa beauté et sa gaieté ne lui avaient pas manqué, mais ce qu’elle avait éprouvé à cet instant lui était inconnu. Elle n’avait même pas fait attention à son nom quand, en l’invitant, il s’était présenté. Seulement qu’il était anglais et possédait des yeux aussi verts que les siens. Et aussi pétillants.
Jeune ? Non, il ne l’était plus mais il était mieux que cela ! La cinquantaine argentait ses tempes en donnant plus de relief à ses traits réguliers. Taillés un peu à coups de serpe… mais dont le sourire était tellement séduisant !…
Ils avaient bissé la valse sans presque se parler, bu ensemble une coupe de champagne au buffet puis dansé de nouveau – deux fois ! – avant qu’il ne la ramène à ses amis en s’excusant de l’avoir confisquée et en faisant ses adieux : il devait partir très tôt le lendemain…
Quand il lui avait baisé la main – juste un peu plus qu’il ne convenait – elle avait éprouvé une sorte de douleur et, ne se sentant plus à l’unisson des autres qui s’adonnaient à leur soirée sans états d’âme, elle refusa alors de continuer d’y participer et se retira.
Délaissant l’ascenseur, elle remonta l’escalier lentement, refusa les services de la soubrette qui, au seuil de sa chambre, se proposait pour l’aider à se déshabiller, puis elle alla près de la coiffeuse… C’est alors que, du balcon par lequel il était entré, il s’encadra dans la fenêtre et son visage presque douloureux était celui-là même de la passion :
— Pardonnez-moi si vous le pouvez, murmura-t-il, mais il fallait que je vienne ! Il y a si longtemps que je vous attends !
Elle n’avait rien répondu. Simplement elle était allée à sa rencontre :
— Moi aussi ! fit-elle dans un souffle, tandis qu’il la prenait dans ses bras…
Ce que fut cette nuit, Amélie en frémissait encore après tant d’années mais personne n’en sut jamais rien. Elle aurait pourtant dû se renouveler. Il avait promis qu’ils se reverraient. Seulement il ne revint jamais. Quelques mois plus tard les journaux lui apprenaient que sir John Leighton avait trouvé la mort au cours de son expédition dans l’Himalaya…
Elle réalisa à ce moment qu’elle ne savait rien de lui, qu’un prénom. Lui ne devait pas ignorer grand-chose d’elle puisqu’il lui avait écrit de Delhi. Juste quelques mots signés de son prénom. Il l’aimait et, dès son retour, c’est près d’elle qu’il irait… Puis ce fut le silence, les années qui passent…
Le vent léger qui se levait la fit frissonner, pourtant elle resta là, les coudes sur la pierre tiède à contempler ce paysage qu’elle avait juré de ne jamais revoir. Aussi avait-elle hésité quand Plan-Crépin avait plaidé pour ce voyage à Lugano afin d’essayer d’aider Aldo à reconstruire sa vie et puis elle avait éprouvé une sorte d’allégresse… Ce serait au contraire merveilleux d’emplir à nouveau son regard du cadre enchanteur que la vie avait donné à cet amour de rêve !
Aussi, en descendant du train tout à l’heure, elle se sentait presque heureuse ! Pourquoi avait-il fallu que cet imbécile d’Hubert vînt se mettre à la traverse avec ses plaisanteries d’un goût douteux ?
Elle avait été à deux doigts de repartir mais, à présent, elle pensait que peut-être ce doux pays qui, une fois déjà, avait sauvé Aldo du désespoir (8) accomplirait un nouveau miracle !
Laissant sa fenêtre ouverte sur les senteurs de la nuit, elle alla se coucher sans rallumer la lampe et resta là les yeux grands ouverts jusqu’à ce que, minuit largement passé, le sommeil la prenne enfin…
11
Les douze coups de minuit
Quand, vers huit heures du matin, Plan-Crépin entra dans sa chambre précédant Boleslas qu’elle débarrassa de son vaste plateau, M me de Sommières se demanda quel
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