La Collection Kledermann
rentra dans sa chambre, laissant Marie-Angéline trouver une réponse à l’énorme point d’interrogation qui venait de fleurir dans son cerveau. Se pouvait-il que sa marquise ?… Mais non ! Qu’est-ce qu’elle allait chercher ? Néanmoins, elle ne put s’empêcher de se livrer à un rapide calcul entre le départ du défunt marquis vers les sphères célestes et sa propre arrivée. Il s’était écoulé un grand nombre d’années dont elle ne savait pratiquement rien si ce n’est que l’on avait mené une vie mondaine dont on avait gardé – à travers l’Europe d’ailleurs ! – quantité d’amis.
Elle en resta là de ses cogitations. À l’intérieur elle entendit M me de Sommières se moucher puis :
— Alors ? Vous les défaites ces valises ? À moins que vous ne préfériez reprendre le prochain train ! Au fond, c’est peut-être ce qui serait préférable…
— Je viens, je viens ! se hâta-t-elle de répondre en se précipitant sur les bagages qu’elle défit en un temps record, tenant essentiellement à séjourner dans cette maison qui parlait trop à son imagination pour l’abandonner si vite ! Ce qui ne serait peut-être pas si facile. Sans en avoir fait mention, elle redoutait en effet la cohabitation entre Combeau-Roquelaure et celle qu’il appelait le « vieux chameau » il n’y avait pas si longtemps. Et si maintenant s’y ajoutait un « souvenir » qu’elle n’osait pas qualifier, la tâche serait rude et il allait falloir s’accrocher !
Cependant, le déjeuner que Wishbone s’était dépêché de commander par téléphone à un traiteur de Lugano se déroula dans une urbanité qui lui rendit espoir… jusqu’à ce que Boleslas apporte le dessert et un seau à glace d’où dépassait le goulot doré d’une bouteille. Tout sourires, Cornélius se leva pour la déboucher lui-même et remplir les coupes :
— Et à présent, dit-il en se tournant vers son invitée principale, nous allons boire à l’heureuse arrivée de M me la marquise et de M lle du… Angelina ainsi qu’à un séjour que…
Il s’interrompit net. Non seulement M me de Sommières ne prit pas sa coupe mais la fixait d’un œil qui n’augurait rien de bon :
— Qu’est-ce que cela ? grimaça-t-elle en désignant d’un doigt indigné le liquide jaune qui moussait dans le cristal.
— champagne, voyons ! fit-il décontenancé. champagne italien… of course !
— Mon cher ami, vous avez toutes les excuses possibles de faire une si lourde confusion et vous voudrez bien accepter les miennes si je vous parais impolie mais vous ne me ferez jamais avaler ça !
Puis se tournant vers Hubert plié en deux par le fou rire :
— Inutile de chercher qui vous a conseillé cette détestable plaisanterie. Du champagne, hein ? Chez les gens civilisés et les Français dignes de ce nom, on appelle ce breuvage de l’asti spumante ! Et je refuse d’y être condamnée durant mon séjour ! Plan-Crépin ! Puisque vous en avez tellement envie, vous restez ici, mais vous refaites mes valises et vous me retenez une chambre au Splendide Royal Hôtel où je vous attendrai le temps qu’il faudra ! Je refuse toute cohabitation avec un personnage qui, à plus de quatre-vingts ans, se livre encore à des blagues de potache ! Cela n’entame en rien l’amitié que je vous porte et dont je vais abuser en vous demandant de me faire servir une tasse de votre excellent café sur la terrasse ! Allez, Plan-Crépin ! Exécution !
Et, d’un pas royal, elle alla s’asseoir dans l’un des fauteuils en rotin au-dessus duquel Boleslas s’empressa d’ouvrir un parasol. Un silence de mort salua son départ.
Les trois autres semblaient changés en statues de sel. Le professeur se reprit le premier :
— Je croyais qu’elle avait le sens de l’humour ? grogna-t-il en se levant pour faire l’ours encagé. Décidément elle ne changera jamais ! Elle est et restera toujours un…
Instantanément Plan-Crépin fut debout, furieuse :
— Un mot de plus et on s’en va ! Ce genre d’humour, je ne le comprends pas plus que notre marquise ! D’autant qu’elle n’est venue que pour vous faciliter la vie ! En outre, vous avez osé vous servir, pour cette lamentable plaisanterie, de la chaleureuse hospitalité de notre ami Wishbone qui croyait vraiment lui faire plaisir !
Celui-ci eut pour elle un regard désolé :
— C’est réel ! Je voulais lui faire plaisir parce que je suis tellement plein d’admiration pour elle ! Et
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