La Flèche noire
sol sablonneux, c’est ma cave à vin et vous allez avoir un flacon d’excellente et forte bière.
Et, en effet, sans creuser beaucoup, il sortit une grande bouteille de cuir de la contenance d’environ un gallon, pleine presque aux trois quarts d’un vin capiteux et doux ; et, quand ils eurent bu l’un à l’autre en camarades, le feu fut regarni et flamba de nouveau, et tous deux, étendus de tout leur long, jouissaient de la chaleur.
– Maître Shelton, remarqua l’outlaw, vous avez eu deux échecs ces temps derniers, et vous êtes sur le point de perdre la jeune fille… est-ce bien cela ?
– C’est cela, répliqua Dick, hochant la tête.
– Eh bien ! continua Lawless, écoutez un vieux fou qui a mis la main à tout et vu bien des choses ! Vous suivez trop les autres, maître Dick. Vous allez avec Ellis ; mais il désire surtout la mort de Sir Daniel, vous allez avec Lord Foxham ; bien… les saints le protègent !… sans doute il a de bonnes intentions. Mais faites vos propres affaires, mon bon Dick. Allez tout droit auprès de la demoiselle. Faites-lui la cour de peur qu’elle ne vous oublie. Tenez-vous prêt, et, dès qu’une chance se présentera, filez avec elle en croupe.
– Oui, mais Lawless, sans aucun doute, elle est à présent dans l’hôtel même de Sir Daniel, répondit Dick.
– Alors c’est là que nous allons, répliqua l’outlaw.
Dick le regarda fixement.
– Oui, sérieusement, dit Lawless. Et, si vous avez si peu confiance et hésitez au premier mot, voyez ceci !
Et l’outlaw, prenant une clef à son cou, ouvrit le coffre de chêne, plongea, y tâta jusqu’au fond son contenu, et en sortit d’abord une robe de frère, puis une ceinture de corde ; et enfin un énorme rosaire de bois assez lourd pour être compté comme une arme.
– Ceci, dit-il, est pour vous. Mettez-les !
Et alors, quand Dick se fut habillé avec ce déguisement religieux, Lawless sortit quelques couleurs et un crayon, et procéda avec la plus grande habileté à maquiller sa figure. Il épaissit ses sourcils ; à la moustache encore à peine visible il rendit le même service ; en même temps, par quelques traits autour des yeux, il en changea l’expression et ajouta quelques années à l’apparence du jeune moine.
– Maintenant, conclut-il, quand j’en aurai fait autant, nous ferons une aussi jolie paire de moines que l’œil puisse désirer. Hardiment nous irons chez Sir Daniel, et l’hospitalité nous y sera donnée pour l’amour de notre mère l’Église.
– Et comment, cher Lawless, s’écria le jeune homme, pourrais-je vous remercier ?
– Peuh, mon frère ! répliqua l’outlaw, je ne fais rien que pour mon plaisir. Ne vous occupez pas de moi. Je suis de ceux, par la messe ! qui savent se tirer d’affaire eux-mêmes. S’il me manque quelque chose, j’ai la langue bien pendue, et une voix comme une cloche de monastère… je demande, mon fils ; et si la demande ne réussit pas, le plus souvent je prends.
Le vieux coquin fit une grimace comique, et, bien que Dick fût ennuyé d’être à ce point l’obligé d’un personnage aussi équivoque, il lui fut impossible de contenir son hilarité.
Là-dessus, Lawless retourna au grand coffre et fut bientôt déguisé de la même façon ; mais, sous sa robe, Dick fut surpris de le voir dissimuler un paquet de flèches noires.
– Pourquoi faites-vous cela ? demanda-t-il. Pourquoi des flèches quand vous ne prenez pas d’arc ?
– Bah ! répliqua Lawless d’un ton léger, il est probable qu’il y aura des têtes cassées… pour ne pas dire des dos… avant que nous sortions sains et saufs, tous deux, d’où nous allons ; et, si quelqu’un tombe, je voudrais que notre compagnie en ait l’honneur. Une flèche noire, maître Dick, c’est le sceau de notre abbaye ; cela vous montre qui a écrit le billet.
– Si vous faites tant de préparatifs, dit Dick, j’ai ici quelques papiers que, dans mon propre intérêt et dans l’intérêt de ceux qui ont eu confiance en moi, il vaudrait mieux mettre en sûreté, plutôt que de les voir trouver sur moi. Où puis-je les cacher, Will ?
– Non, répliqua Lawless, je vais sortir dans le bois et me siffler trois couplets d’une chanson ; pendant ce temps, enterrez-les où il vous plaira, et égalisez le sable sur l’endroit.
– Jamais ! s’écria Richard. J’ai confiance en vous,
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