La Guerre des Gaules
LIVRE PREMIER
58 av. J.-C.
1. L'ensemble de la Gaule est divisé en trois parties : l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par le peuple qui, dans sa langue, se nomme Celte, et, dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par le langage, les coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de ces trois peuples sont les Belges, parce qu'ils sont les plus éloignés de la Province romaine et des raffinements de sa civilisation, parce que les marchands y vont très rarement, et, par conséquent, n'y introduisent pas ce qui est propre à amollir les cœurs, enfin parce qu'ils sont les plus voisins des Germains qui habitent sur l'autre rive du Rhin, et avec qui ils sont continuellement en guerre. C'est pour la même raison que les Helvètes aussi surpassent en valeur guerrière les autres Gaulois : des combats presque quotidiens les mettent aux prises avec les Germains, soit qu'ils leur interdisent l'accès de leur territoire, soit qu'ils les attaquent chez eux. La partie de la Gaule qu'occupent, comme nous l'avons dit, les Gaulois commence au Rhône, est bornée par la Garonne, l'Océan et la frontière de Belgique ; elle touche aussi au Rhin du côté des Séquanes et des Helvètes ; elle est orientée vers le nord. La Belgique commence où finit la Gaule ; elle va jusqu'au cours inférieur du Rhin ; elle regarde vers le nord et vers l'est. L'Aquitaine s'étend de la Garonne aux Pyrénées et à la partie de l'Océan qui baigne l'Espagne ; elle est tournée vers le nord-ouest.
Figure 2 The Rhone from Geneva to Pas de L'Écluse
2. Orgétorix était chez les Helvètes l'homme de beaucoup le plus noble et le plus riche. Sous le consulat de Marcus Messala et de Marcus Pison, séduit par le désir d'être roi, il forma une conspiration de la noblesse et persuada ses concitoyens de sortir de leur pays avec toutes leurs ressources : « Rien n'était plus facile, puisque leur valeur les mettait au-dessus de tous, que de devenir les maîtres de la Gaule entière ». Il eut d'autant moins de peine à les convaincre que les Helvètes, en raison des conditions géographiques, sont de toutes parts enfermés : d'un côté par le Rhin, dont le cours très large et très profond sépare l'Helvétie de la Germanie, d'un autre par le Jura, chaîne très haute qui se dresse entre les Helvètes et les Séquanes, et du troisième par le lac Léman et le Rhône, qui sépare notre province de leur territoire. Cela restreignait le champ de leurs courses vagabondes et les gênait pour porter la guerre chez leurs voisins : situation fort pénible pour des hommes qui avaient la passion de la guerre. Ils estimaient d'ailleurs que l'étendue de leur territoire, qui avait deux cent quarante milles de long et cent quatre-vingts de large, n'était pas en rapport avec leur nombre, ni avec leur gloire militaire et leur réputation de bravoure.
3. Sous l'influence de ces raisons, et entraînés par l'autorité d'Orgétorix, ils décidèrent de tout préparer pour leur départ : acheter bêtes de somme et chariots en aussi grand nombre que possible, ensemencer toutes les terres cultivables, afin de ne point manquer de blé pendant la route, assurer solidement des relations de paix et d'amitié avec les États voisins. A la réalisation de ce plan, deux ans, pensèrent-ils, suffiraient : une loi fixa le départ à la troisième année. Orgétorix fut choisi pour mener à bien l'entreprise : il se chargea personnellement des ambassades. Au cours de sa tournée, il persuade Casticos, fils de Catamantaloédis, Séquane, dont le père avait été longtemps roi dans son pays et avait reçu du Sénat romain le titre d'ami, de s'emparer du pouvoir qui avait auparavant appartenu à son père ; il persuade également l'Héduen Dumnorix, frère de Diviciacos, qui occupait alors le premier rang dans son pays et était particulièrement aimé du peuple, de tenter la même entreprise, et il lui donne sa fille en mariage. Il leur démontre qu'il est tout à fait aisé de mener ces entreprises à bonne fin, pour la raison qu'il est lui-même sur le point d'obtenir le pouvoir suprême dans son pays : on ne peut douter que de tous les peuples de la Gaule le peuple helvète ne soit le plus puissant ; il se fait fort de leur donner le pouvoir en mettant à leur service ses ressources et son armée. Ce langage les
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