La Guerre Du Feu
sinistre.
C’est alors qu’un urus surgit de la forêt. D’où venait-il ? Quelle aventure l’avait isolé ? S’était-il attardé ou, au contraire, ayant marché trop vite, menacé par les ennemis ou les météores, avait-il fui au hasard ? Les Nomades ne se le demandaient point ; la passion de la proie les saisissait, car si les chasseurs de leur tribu ne s’attaquaient guère aux troupeaux des grands herbivores, ils guettaient les bêtes solitaires, surtout les faibles et les blessées. La bravoure et la ténacité des urus se retrouvent dans telle race de nos taureaux, mais l’urus avait une tête moins obscure. L’espèce était à son apogée. Lestes, avec une respiration vive, un sens clair du péril et une ruse complexe, ces forts organismes circulaient magnifiquement sur la planète.
Naoh se leva avec un grondement. Après la victoire sur un fauve, rien n’était plus glorieux que d’abattre un grand herbivore. L’Oulhamr sentit dans son cœur cet instinct par quoi se maintient tout ce qui fut nécessaire à la croissance de l’homme ; son ardeur augmentait à mesure qu’approchaient le poitrail spacieux et les cornes luisantes. Mais il subissait un autre instinct : ne pas détruire en vain la chair nourricière. Or il avait de la viande fraîche ; la proie foisonnait. Enfin, se souvenant de son triomphe sur l’ours, Naoh jugeait moins méritoire d’abattre un urus. Il abaissa sa sagaie, il renonça à une chasse où il pouvait fausser ses armes. Et l’urus, s’avançant avec lenteur, prit le chemin de la rivière.
Soudain, les trois hommes dressèrent la tête, les sens dilatés par le péril. Leur doute fut court : Nam et Gaw, sur un signe du chef, se glissèrent sous les blocs erratiques. Lui-même les suivait, au moment où un mégacéros jaillissait de la forêt. Toute la bête était un vertige de fuite. La tête aux vastes palmures rejetée en arrière, une écume mélangée d’écarlate ruisselant aux naseaux, les pattes rebondissant comme des branches dans un cyclone, le mégacéros avait fait une trentaine de bonds, lorsque l’ennemi surgit à son tour. C’était un tigre, aux membres trapus, aux vertèbres élastiques et dont le corps, à chaque reprise, franchissait vingt coudées. Ses bonds flexibles semblaient des glissements dans l’atmosphère. Chaque fois que le félin atteignait le sol, il y avait une pause brève, une reconcentration d’énergie.
Dans son mouvement moins ample, le cervidé ne subissait point d’arrêt. Chaque saut était la suite accélérée du saut précédent. À cette période de la poursuite, il perdait du terrain. Pour le tigre, la course venait de commencer, tandis que le mégacéros arrivait de loin.
– Le tigre saisira le grand cerf ! fit Nam d’une voix frissonnante.
Naoh, qui regardait passionnément cette chasse, répondit :
– Le grand cerf est infatigable.
Non loin de la rivière, l’avance du mégacéros se trouva réduite de moitié. Dans une tension suprême, il accrut sa vitesse ; les deux corps se projetèrent avec une rapidité égale, puis les sauts du tigre se rétrécirent. Il eût sans doute renoncé à la poursuite, si la rivière n’avait été proche ; il espéra regagner du terrain à la nage : son long corps onduleux y excellait. Quand il parvint à la rive, le mégacéros était à cinquante coudées. Le tigre se coula par l’onde avec une vélocité extraordinaire ; mais le mégacéros progressait à peine moins vite. Ce fut le moment de la vie et de la mort. Comme la rivière n’était pas large, le cervidé devait pourtant atterrir avec une avance : s’il tâtonnait en se hissant sur la berge, il était pris. Il le savait ; il avait même risqué un détour pour choisir le lieu d’abordage : c’était un petit promontoire caillouteux, à pente douce. Quoique le mégacéros eût calculé sa sortie avec justesse, il eut une hésitation vague, pendant laquelle le tigre se rapprocha. Enfin, l’herbivore s’enleva. Il était à vingt coudées quand le tigre atteignit à son tour le sol et fit son premier bond. Ce bond fut hâtif, le félin emmêla ses pattes, trébucha et roula : le mégacéros avait partie gagnée. Il n’y avait qu’à rompre la poursuite ; le tigre le comprit et, se souvenant d’une haute silhouette entrevue pendant la course, il se hâta de retraverser la rivière. L’urus était encore en vue...
Au passage de la chasse, il avait reculé vers la forêt. Puis
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