La Perle de l'empereur
arborer un joyau qu’elle tenait de l’homme abandonné par elle à la vindicte de Mazarin ?
— Je le pense. D’autant que Mazarin, dont le flair pour dénicher les trésors en aurait remontré au meilleur limier, a dû lui faire entendre que ce ne serait pas convenable puisque la Cour était persuadée que Beaufort était son amant. Mais il a fait mieux. Après les troubles de la Fronde, jouant d’une jalousie plus ou moins réelle et de la qualité d’époux secret qu’elle avait eu la sottise de lui laisser prendre, il s’est fait donner la « Régente », ce présent d’amour qu’il ne lui permettait pas de porter.
— C’est assez dans sa logique de rapace mais, en ce cas, on aurait dû retrouver la perle dans son héritage ?
— Non. Elle venait de Beaufort et il haïssait Beaufort, en qui il voyait la cause de tous ses maux. Il n’avait pas envie de la garder et il en a fait présent à l’une de ses nièces…
— Une des Mazarinettes ? Laquelle ?
— La plus belle et la seule blonde : Anne-Marie Martinozzi, qu’en février 1654 il mariait au prince de Conti, petit, laid, maladif, contrefait et qui avait été l’un des trublions de la Fronde. Ce qui lui avait valu un séjour à Vincennes avec son frère Condé et son beau-frère Longueville dans le cachot même d’où Beaufort avait réussi à s’évader. Mais il était prince du sang et c’était la seule chose qui comptait aux yeux de l’astucieux cardinal.
— Pourquoi l’avoir donnée à celle-là ?
Maître Lair-Dubreuil se renversa dans son fauteuil pour envoyer au plafond de son cabinet un regard empli d’une sorte de rêve heureux :
— Connaissez-vous, mon cher prince, certain portrait peint par un inconnu et qui doit se trouver quelque part à Versailles ?
— Non. Je ne vois pas…
— Il représente la jeune princesse de Conti – elle n’a d’ailleurs pas eu le temps de vieillir car elle est morte à trente-cinq ans ! – littéralement couverte de perles et pas des petites. La plus grande partie de sa chevelure est emprisonnée dans ce qui doit être une résille entièrement recouverte de perles en poire à la façon des écailles d’un poisson. Et sa robe, pour ce que l’on en voit, en porte une quantité incroyable.
— La « Régente » est du nombre ?
— Non. Elle ne voulait pas la porter tant qu’Anne d’Autriche vivrait et quand celle-ci est morte M me de Conti ne la possédait plus.
— On la lui avait volée ?
— Non, mais en 1662 la France a connu une terrible famine. La princesse a vendu tous ses joyaux, toutes ces perles qu’elle aimait tant, pour nourrir les pauvres du Berry, de la Champagne et de la Picardie. La grande perle a disparu sans que l’on puisse savoir où jusqu’à ce qu’elle reparaisse un siècle et demi plus tard entre les mains de Nitot…
— Belle histoire ! apprécia Morosini. Mais comment le savez-vous ? Le maréchal d’Estrées ne devait plus être de ce monde ?
— Le maréchal d’Estrées est mort à quatre-vingt-dix-sept ans en 1670. Quand la princesse a vendu ses trésors il n’en avait que quatre-vingt-neuf et jusqu’à cette dispersion il s’est arrangé pour ne jamais perdre de vue une perle qu’il ne se consolait pas d’avoir donnée de façon si inconsidérée. Je me suis beaucoup intéressé à lui. J’ai réussi à retrouver d’autres notes et papiers grâce auxquels j’ai pu reconstituer cette affaire. Que vous m’apportiez la « Régente » aujourd’hui représente beaucoup pour moi. Une espèce de couronnement. Elle est si belle !
La perle reposait au creux de sa main et il la caressait d’un doigt léger. Aldo gardait le silence, respectant cet instant d’évident bonheur mais ce fut Maître Lair-Dubreuil qui rompit le charme en soupirant :
— Malheureusement je vais la reperdre ? Si vous êtes ici, c’est que vous désirez que je la vende ?
— À moins que ne vouliez l’acheter personnellement ? fit Aldo en souriant.
— Ma femme ne me le pardonnerait pas ! Elle est aussi une rareté, car elle déteste les bijoux. Puis-je vous demander qui vend cette pièce d’exception ? Vous-même ?
— Non. Et le vendeur souhaite garder l’anonymat. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ?
— Dès l’instant où vous le représentez, les meilleures conditions sont requises. Il se trouve justement…
Il s’interrompit pour choisir sur sa table de travail un épais dossier qu’il
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