La Perle de l'empereur
des cheveux trop courts ! –, dégageaient un profil d’une pureté absolue mais elle avait surtout des yeux clairs, d’un bleu incomparable, qui brillaient entre des cils incroyablement longs et épais. Mais, si elle ne sacrifiait pas à la mode capillaire, elle devait suivre de près les caprices des couturiers car le manteau court, porté avec une désinvolture pleine de grâce, dévoilait des jambes ravissantes.
Cependant le mouvement impétueux qui la poussait vers son hôte venait de se briser devant le joyau toujours étalé sur son mouchoir de soie.
— Mais quelle merveille !… Où avez-vous trouvé cette perle incroyable ? La plus grosse que j’aie jamais vue ! Quelle beauté ! Quelle…
Ses mains gantées de suède noire allaient s’emparer de la « Régente » quand Youssoupoff les arrêta et les maintint fermement dans les siennes :
— N’y touchez surtout pas, Tania ! Il ne faut pas !
— Pourquoi ? gémit-elle comme s’il lui faisait mal.
— Elle ne porte pas chance. En outre, elle appartient au prince Morosini que voici et que j’ai le plaisir de vous présenter. La comtesse Tania Abrasimoff, cher ami !
Aldo s’inclina sur la main qu’on lui tendait sans lui accorder même un regard. Les longs yeux bleus semblaient ne pouvoir se détacher de la perle. Sur ce visage admirable, un rien asiatique, Morosini retrouva sans plaisir l’expression de faim presque douloureuse qu’il avait pu lire jadis sur le visage de Mary Saint-Alban (5) . La belle Anglaise était blonde avec des yeux gris et cette Reine de la Nuit était son contraire. Pourtant elles arrivaient à se rejoindre, à se ressembler…
Cependant Youssoupoff, un peu inquiet, intervenait :
— Je ne veux pas vous retenir plus longtemps, prince ! Reprenez votre bien, ajouta-t-il en appuyant sur le possessif, et quittons-nous ! Mais je serai heureux de vous revoir un jour prochain ! Attendez-moi un instant, Tania ! Je raccompagne notre ami !
Impossible de s’attarder plus longtemps. Aldo rempocha la perle, salua la comtesse et sortit du salon raccompagné jusqu’au vestibule par son hôte. Celui-ci lui serra la main avec une sorte de hâte et rejoignit sa belle visiteuse tandis que Tesphé restituait à Aldo son alpaga noir, son chapeau et ses gants en lui demandant s’il désirait un taxi. Morosini lui répondit qu’il en avait un mais qu’il accepterait volontiers un annuaire téléphonique.
Un moment plus tard, il quittait la rue Gutenberg à destination du boulevard Haussmann, où se trouvaient les bureaux de Maître Lair-Dubreuil, qui tenait le haut du pavé parisien en matière de ventes aux enchères. Spécialement pour les bijoux, et c’était au fond très agréable de se rendre chez lui car tous deux se connaissaient bien et aimaient à se rencontrer, fût-ce pour le simple plaisir de parler pierres précieuses et joyaux célèbres.
Pourtant, en sortant de chez Youssoupoff, Morosini avait hésité un instant à donner son adresse au chauffeur. La tentation lui était venue de se faire conduire quai des Orfèvres et de confier au commissaire Langlois une perle dont apparemment personne ne voulait – sauf une bande d’assassins ! – et qu’il commençait à trouver singulièrement encombrante. Il avait de plus en plus hâte de rentrer chez lui et c’était impossible tant que le policier n’aurait pas tiré de lui ce qu’il voulait. D’autre part, il se considérait comme engagé envers Masha Vassilievich. Une fois dans les coffres de la police, Dieu seul savait quand le pendentif reverrait le jour ! Il resterait enfermé sans servir à personne, confortant la méfiance de Langlois puisque Aldo avouerait ainsi avoir conservé une pièce à conviction par-devers lui. Le mieux était de le vendre et le plus tôt serait le mieux.
Comme il l’espérait, Maître Lair-Dubreuil le reçut à bras ouverts, si cette expression joviale pouvait convenir à un homme discret et peu communicatif dans la vie courante. Mais c’était en général le lot des joyaux historiques de faire sortir de leur réserve les personnages les moins démonstratifs.
— La « Régente » ?… Vous m’apportez la « Régente » ? s’écria le distingué commissaire-priseur quand, une fois installé dans son cabinet assourdi par des portes capitonnées, Morosini lui eut exposé l’objet de sa visite. Et vous êtes sûr de votre fait ?
— Jugez vous-même !
Une fois de plus la grande perle
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