La Perle de l'empereur
chambre, pas trop bien cachés, en ajoutant que j’allais m’en servir pour tendre un piège à notre ami. Ce que la Princesse a eu la grâce d’accepter.
— Vous preniez un gros risque. Le bonhomme est habile, nous en savons tous les deux quelque chose…
— Sans doute, mais je ne suis pas complètement stupide ; j’étais persuadé que Napoléon VI ne résisterait pas à l’attrait de pièces aussi exceptionnelles, d’autant plus qu’il devait y avoir beaucoup de monde, donc des serviteurs supplémentaires, quelques photographes de presse, la gendarmerie aux grilles du château, bien entendu des hommes à moi disséminés dans le personnel, et enfin votre serviteur qui, en tenue de soirée, s’était mêlé aux invités pendant un moment avant de monter, sans me faire remarquer, afin de surveiller la chambre de la princesse. Ce que j’avais prévu est arrivé : durant le souper où, comme au Schéhérazade, les Vassilievich se sont fait entendre, notre voleur s’est introduit chez la Princesse, déguisé en valet de chambre. Il n’a eu aucune peine à trouver les fameux pendants d’oreilles mais j’étais là et je lui ai sauté dessus. Nous nous sommes battus et… je l’avoue, j’ai eu le dessous. Il m’a échappé et s’est enfui par la fenêtre tandis qu’à coups de sifflet j’alertais mes hommes. Je vous passe la poursuite dans le parc, elle a été épique… et sanglante, car il n’a pas hésité à tirer sur ses poursuivants, qui ont répliqué bien sûr mais, comme jadis Raspoutine, cet homme semblait à l’épreuve des balles. Si finalement il s’est écroulé, la gorge ouverte, c’est un couteau lancé par Masha Vassilievich qui l’a eu…
— Est-ce qu’elle n’était pas en train de chanter ?
— Vous pensez bien que les coups de sifflet ont fait quelque bruit. Tout le monde s’est précipité dehors…
— Bravo ! Mais ne me faites pas languir, commissaire ! Me direz-vous enfin qui il était ?
— Oui. Martin Walker. Il s’appelait en réalité Boris Kouliakoff et était le petit-fils de la Berechkoffskaïa. Je ne vous cache pas que je m’en doutais parce que j’avais fait la relation entre quelques petits faits, sa longue absence du journal pour un reportage en Asie et le vol du collier du maharadjah de Patiala. Que d’ailleurs nous avons retrouvé chez lui avec pas mal d’autres choses. Il s’était constitué un vrai trésor…
— Vous dites « était » ? Il est mort ?
— Tout à fait. Masha lance le couteau encore mieux que ses frères. Je l’ai laissée en liberté surveillée car en tuant Walker elle a sauvé la vie de mes hommes. Elle devra répondre devant la Justice mais elle s’en tirera avec un sursis. J’ajoute qu’elle est tellement heureuse d’avoir pu abattre l’assassin de son frère qu’elle serait allée à l’échafaud en chantant… Une femme extraordinaire ! Allô… Allô ! Je ne vous entends plus !
— Je suis toujours là pourtant mais, je vous l’avoue, je suis un peu triste. J’aimais bien ce garçon, qui n’a pas hésité à prendre des risques pour me tirer des pattes d’Agalar.
— Moi aussi, figurez-vous, je l’aimais bien. Si encore il s’était contenté de voler, mais c’était aussi un assassin sans scrupules et…
Le téléphone, fatigué sans doute d’une aussi longue perfection, se mit à crachoter et à émettre des bruits qui ressemblaient à des borborygmes. Au bout d’un moment Aldo raccrocha et se laissa aller dans son fauteuil en cherchant machinalement une de ces cigarettes si propices à la rêverie. La fin tragique de l’histoire lui laissait dans la bouche un goût amer. Les hommes décidément l’étonneraient toujours, avec les multiples visages que pouvait révéler leur moi profond…
— Tu rêves ? fit la voix amusée de Lisa qu’il n’avait pas entendue entrer. Tiens, la poste vient d’apporter ce paquet pour toi. Il vient de Paris.
C’était un assez gros paquet, de la taille d’une boîte à chaussures, enveloppé de papier fort et de ficelle solide. Aldo prit sur son bureau – un superbe « mazarin » signé Charles Boulle – un stylet vénitien, trancha les liens et défit le papier. Il s’agissait en effet d’une boîte à chaussures – de chez Weston s’il vous plaît ! – qui contenait un autre paquet plus petit servant de protection à un autre, puis un autre encore à la manière des poupées russes.
— C’est une blague ?
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