La Sorcière
désir effréné de voir et de savoir. — Là commencèrent les mauvaises sciences, la pharmacie défendue des poisons, et l'exécrable anatomie. — Le berger, espion des étoiles, avec l'observation du ciel, apportait là ses coupables recettes, ses essais sur les animaux. — La sorcière apportait du cimetière voisin un corps volé ; et pour la première fois (au risque du bûcher) on pouvait contempler ce miracle de Dieu « qu'on cache sottement, au lieu de le comprendre » (comme a dit si bien M. Serres).
Le seul docteur admis là par Satan, Paracelse y a vu un tiers, qui parfois se glissait dans l'assemblée sinistre, y apportait la chirurgie. — C'était le chirurgien de ces temps de bonté, le bourreau, l'homme à la main hardie, qui jouait à propos du fer, cassait les os et savait les remettre, qui tuait et parfois sauvait, pendait jusqu'à un certain point.
L'université criminelle de la sorcière, du berger, du bourreau, dans ses essais qui furent des sacrilèges, enhardit l'autre, força sa concurrente d'étudier. Car chacun voulait vivre. Tout eût été à la sorcière ; on aurait pour jamais tourné le dos au médecin. — Il fallut bien que l'Église subît, permît ces crimes. Elle avoua qu'il est de bons poisons (Grillandus). Elle laissa, contrainte et forcée, disséquer publiquement. En 1306, l'italien Mondino ouvre et dissèque une femme ; une en 1315. — Révélation sacrée, Découverte d'un monde (c'est bien plus que Christophe Colomb). Les sots frémirent, hurlèrent. Et les sages tombèrent à genoux.
Avec de telles victoires, Satan était bien sûr de vivre. Jamais l'Église seule n'aurait pu le détruire. Les bûchers n'y firent rien, mais bien certaine politique.
On divisa habilement le royaume de Satan. Contre sa fille, son épouse, la Sorcière, on arma son fils, le Médecin.
L'Église, qui, profondément, de tout son cœur, haïssait celui-ci, ne lui fonda pas moins son monopole, pour l'extinction de la Sorcière. Elle déclare, au quatorzième siècle, que si la femme ose guérir sans avoir étudié , elle est sorcière et meurt.
Mais comment étudierait-elle publiquement ? Imaginez la scène risible, horrible, qui eût eu lieu, si la pauvre sauvage eût risqué d'entrer aux Écoles ! Quelle fête et quelle gaieté ! Aux feux de la Saint-Jean, on brûlait des chats enchaînés. Mais la sorcière liée à cet enfer miaulant, la sorcière hurlante et rôtie, quelle joie pour l'aimable jeunesse des moinillons et des cappets !
On verra tout au long la décadence de Satan. Lamentable récit. On le verra pacifié, devenu un bon vieux . On le vole, on le pille, au point que des deux masques qu'il avait au Sabbat, le plus sale est pris par Tartuffe.
Son esprit est partout. Mais lui-même, de sa personne, en perdant la Sorcière, il perdait tout. — Les sorciers furent des ennuyeux.
Maintenant qu'on l'a précipité tellement vers son déclin, sait-on bien ce qu'on a fait là ? — N'était-il pas un acteur nécessaire, une pièce indispensable de la grande machine religieuse, un peu détraquée aujourd'hui ? — Tout organisme qui fonctionne bien est double, a deux côtés. La vie ne va guère autrement. C'est un certain balancement de deux forces, opposées, symétriques, mais inégales ; l'inférieure fait contre-poids, répond à l'autre. La supérieure s'impatiente, et veut la supprimer. — A tort.
Lorsque Colbert (1672) destitua Satan avec peu de façon en défendant aux juges de recevoir les procès de sorcellerie, le tenace Parlement normand, dans sa bonne logique normande, montra la portée dangereuse d'une telle décision. Le diable n'est pas moins qu'un dogme, qui tient à tous les autres. Toucher à l'éternel vaincu, n'est-ce pas toucher au vainqueur ? Douter des actes du premier, cela mène à douter des actes du second, des miracles qu'il fit précisément pour combattre le Diable. Les colonnes du ciel ont leur pied dans l'abîme. L'étourdi qui remue cette base infernale, peut lézarder le paradis.
Colbert n'écouta pas. Il avait tant d'autres affaires. — Mais le diable peut-être entendit. Et cela le console fort. Dans les petits métiers où il gagne sa vie (spiritisme ou tables tournantes), il se résigne, et croit que du moins il ne meurt pas seul.
Livre premier
I
La mort des dieux
Certains auteurs nous assurent que, peu de temps avant la victoire du christianisme, une voix mystérieuse courait sur les rives de la mer Égée,
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