La Sorcière
si bonne heure par Phlégon, l'affranchi d'Adrien, on la retrouve au douzième siècle, on la retrouve au seizième, comme le reproche profond, l'indomptable réclamation de la Nature.
« Un jeune homme d'Athènes va à Corinthe, chez celui qui lui promit sa fille. Il est resté païen, et ne sait pas que la famille où il croyait entrer vient de se faire chrétienne. Il arrive fort tard. Tout est couché, hors la mère, qui lui sert le repas de l'hospitalité, et le laisse dormir. Il tombe de fatigue. A peine il sommeillait, une figure entre dans la chambre : c'est une fille, vêtue, voilée de blanc ; elle a au front un bandeau noir et or. Elle le voit. Surprise, levant se blanche main : « Suis-je donc déjà si étrangère dans la maison ?... Hélas ! pauvre recluse... Mais, j'ai honte, et je sors. Repose. — Demeure, belle jeune fille, voici Cérès, Bacchus, et, avec toi, l'Amour ! N'aie pas peur, ne sois pas si pâle ! — Ah ! loin de moi, jeune homme ! Je n'appartiens plus à la joie. Par un vœu de ma mère malade, la jeunesse et la vie sont liées pour toujours. Les dieux ont fui. Et les seuls sacrifices sont des victimes humaines. — Eh quoi ! ce serait toi ? toi, ma chère fiancée, qui me fus donnée dès l'enfance ? Le serment de nos pères nous lia pour toujours sous la bénédiction du ciel. O vierge ! sois à moi ! — Non, ami, non, pas moi. Tu auras ma jeune sœur. Si je gémis dans ma froide prison, toi, dans ses bras, pense à moi, à moi qui me consume et ne pense qu'à toi, et que la terre va recouvrir. — Non, j'en atteste cette flamme ; c'est le flambeau d'hymen. Tu viendras avec moi chez mon père. Reste, ma bien-aimée. » — Pour don de noces, il offre une coupe d'or. Elle lui donne sa chaîne, mais préfère à la coupe une boucle de ses cheveux.
« C'est l'heure des esprits ; elle boit, de sa lèvre pâle, le sombre vin couleur de sang. Il boit avidement après elle. Il invoque l'Amour. Elle, son pauvre cœur s'en mourait, et elle résistait pourtant. Mais il se désespère, et tombe en pleurant sur le lit. — Alors, se jetant près de lui : « Ah ! que la douleur me fait mal ! Mais, si tu me touchais, quel effroi ! Blanche comme la neige, froide comme la glace, hélas ! telle est ta fiancée. — Je te réchaufferai ; viens à moi ! quand tu sortirais du tombeau... » Soupirs, baisers, s'échangent. « Ne sens-tu pas comme je brûle ? » — L'amour les étreint et les lie. Les larmes se mêlent au plaisir. Elle boit, altérée, le feu de sa bouche ; le sang figé s'embrase de la rage amoureuse, mais le cœur ne bat pas au sein.
« Cependant la mère était là, écoutait. Doux serments, cris de plainte et de volupté. — « Chut ! c'est le chant du coq ! A demain, dans la nuit ! » Puis, adieu, baisers sur baisers !
« La mère entre indignée. Que voit-elle ? Sa fille, Il la cachait, l'enveloppait. Mais elle se dégage, et grandit du lit à la voûte : « O mère ! mère ! vous m'enviez donc ma belle nuit, vous me chassez de ce lieu tiède, N'était-ce pas assez de m'avoir roulée dans le linceul, et sitôt portée au tombeau ? Mais une force a levé la pierre. Vos prêtres eurent beau bourdonner sur la fosse. Que font le sel et l'eau, où brûle la jeunesse ? La terre ne glace pas l'amour !... Vous promîtes ; je viens redemander mon bien...
Las ! ami, il faut que tu meures. Tu languirais, tu sécherais ici. J'ai les cheveux ; ils seront blancs demain 4. ... Mère, une dernière prière ! Ouvrez mon noir cachot, élevez un bûcher, et que l'amante ait le repos des flammes. Jaillisse l'étincelle et rougisse la cendre ! Nous irons à nos anciens dieux. »
1. Conf. de S. Cyprien, ap. Muratori, Script, il ., I, 293, 315. A. Maury, Magie , 435.
2. V. Mansi, Baluze ; Conc. d'Arles, 442 ; de Tours, 567 ; de Leptines, 743 ; les Capitulaires, etc. Gerson même, vers 1400.
3. V. les Vies des Pères du désert, et les auteurs cités par A. Maury, Magie , 317. Au quatrième siècle, les Messaliens, se croyant pleins de démons, se mouchaient et crachaient sans cesse, faisaient d'incroyables efforts pour les expectorer.
4. Ici, j'ai supprimé un mot choquant. Gœthe, si noble dans la forme, ne l'est pas autant d'esprit. Il gâte la merveilleuse histoire, souille le grec d'une horrible idée slave. Au moment où on pleure, il fait de la fille un vampire. Elle vient, parce qu'elle a soif de sang, pour sucer le sang de
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