La Sorcière
affaire ; celui qu'on lui amène est coupable certainement, et, s'il se défend, encore plus. La justice n'a pas à suer fort, à se casser la tête, pour distinguer le vrai du faux. En tout, on part d'un parti pris. Le logicien, le scolastique n'a que faire d'analyser l'âme, et de se rendre compte des nuances par où elle passe, de sa complexité, de ses oppositions intérieures et de ses combats. Il n'a pas besoin, comme nous de s'expliquer comment cette âme, de degré en degré, peut devenir vicieuse. Ces finesses, ces tâtonnements, s'il pouvait les comprendre, oh ! comme il en rirait, hocherait la tête ! et qu'avec grâce alors oscilleraient les superbes oreilles dont son crâne vide est orné !
Quand il s'agit surtout du Pacte diabolique , du traité effroyable où pour un petit gain d'un jour, l'âme se vend aux tortures éternelles, nous chercherions nous autres à retrouver la voie maudite, l'épouvantable échelle de malheurs et de crimes qui l'auront fait descendre là. Notre homme a bien affaire de tout cela ! Pour lui l'âme et le diable étaient nés l'un pour l'autre, si bien qu'à la première tentation, pour un caprice, une envie , une idée qui passe, du premier coup l'âme se jette à cette horrible extrémité.
Je ne vois pas non plus que nos modernes se soient enquis beaucoup de la chronologie morale de la sorcellerie. Ils s'attachent trop aux rapports du moyen âge avec l'antiquité. Rapports réels, mais faibles, de petite importance. Ni la vieille Magicienne, ni la Voyante celtique et germanique ne sont encore la vraie Sorcière. Les innocentes Sabasies (de Bacchus Sabasius), petit sabbat rural, qui dura dans le moyen âge, ne sont nullement la Messe noire du quatorzième siècle, le grand défi solennel à Jésus. Ces conceptions terribles n'arrivèrent pas par la longue filière de la tradition. Elles jaillirent de l'horreur du temps.
D'où date la Sorcière ? Je dis sans hésiter : « Des temps du désespoir. »
Du désespoir profond que fit le monde de l'Église. Je dis sans hésiter : « La Sorcière est son crime. »
Je ne m'arrête nullement à ses doucereuses explications qui font semblant d'atténuer : « Faible, légère, était la créature, molle aux tentations. Elle a été induite à mal par la concupiscence. » Hélas ! dans la misère, la famine de ces temps, ce n'est pas là ce qui pouvait troubler jusqu'à la fureur diabolique. Si la femme amoureuse, jalouse et délaissée, si l'enfant chassée par la belle-mère, si la mère battue de son fils (vieux sujets de légendes), si elles ont pu être tentées, invoquer le mauvais Esprit, tout cela n'est pas la Sorcière. De ce que ces pauvres créatures appellent Satan, il ne suit pas qu'il les accepte. Elles sont loin encore, et bien loin d'être mûres pour lui. Elles n'ont pas la haine de Dieu.
Pour comprendre un peu mieux cela, lisez les registres exécrables qui nous restent de l'inquisition, non pas dans les extraits de Llorente, de Lamothe-Langon, etc., mais dans ce qu'on a des registres originaux de Toulouse. Lisez-les dans leur platitude, leur morne sécheresse, si effroyablement sauvage. Au bout de quelques pages, on se sent morfondu. Un froid cruel vous prend. La mort, la mort, la mort, c'est ce qu'on sent dans chaque ligne. Vous êtes déjà dans la bière, ou dans une petite loge de pierre aux murs moisis. Les plus heureux sont ceux qu'on tue. L'horreur, c'est l' in pace . C'est ce mot qui revient sans cesse, comme une cloche d'abomination qu'on sonne et qu'on résonne, mot toujours le même : Emmurés .
Épouvantable mécanique d'écrasement, d'aplatissement, cruel pressoir à briser l'âme. De tour de vis en tour de vis, ne respirant plus et craquant, elle jaillit de la machine, et tomba au monde inconnu.
A son apparition, la Sorcière n'a ni père, ni mère, ni fils, ni époux, ni famille. C'est un monstre, un aérolithe, venu on ne sait d'où. Qui oserait, grand Dieu ! en approcher ?
Où est-elle ? Aux lieux impossibles, dans la forêt des ronces, sur la lande, où l'épine, le chardon emmêlés, ne permettent pas le passage. La nuit, sous quelque vieux dolmen. Si on l'y trouve, elle est isolée par l'horreur commune ; elle a autour comme un cercle de feu.
Qui le croira pourtant ? c'est une femme encore. Même cette vie terrible presse et tend son ressort de femme, l'électricité féminine. La voilà douée de deux dons :
L 'illuminisme de la folie lucide , qui, selon
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