L'âme de la France
la « troisième force » dénonce la convergence entre communistes et gaullistes hostiles à l'Europe supranationale. Elle se présente comme l'expression d'une politique démocratique opposée aux « extrêmes » qu'elle combat.
Le général de Gaulle se trouve ainsi censuré, puisqu'il est devenu le chef du RPF.
Quant aux communistes et au syndicat CGT qu'ils contrôlent, leurs manifestations sont souvent interdites, dispersées, suivies d'arrestations.
Les grèves du printemps 1947 – prétexte à l'éviction des communistes du gouvernement –, puis celles, quasi insurrectionnelles, de 1948 sont brisées par un ministre de l'Intérieur socialiste, Jules Moch, qui n'hésite pas à faire appel à l'armée.
En 1952, les manifestations antiaméricaines du 28 mai pour protester contre la nomination à la tête de l'OTAN du général Ridgway, qui a commandé en Corée, donnent lieu à de violents affrontements ; des dirigeants communistes sont arrêtés.
Mais, face à ces ennemis « de l'intérieur », le système politique tient. En 1953, le RPF ne recueille plus que 15 % des voix. Ses députés sont attirés par le manège ministériel, et de Gaulle continue sa « traversée du désert » en rédigeant ses Mémoires à la Boisserie, sa demeure de Colombey-les-Deux-Églises.
Si les oppositions au « système » ne réussissent pas à le renverser, c'est que, de 1946 à 1954, le fait qu'il soit « absurde et périmé » (selon de Gaulle) ne perturbe pas le mouvement de la société.
Car si la vie politique ressemble de plus en plus à celle des années 30 et 40 – instabilité gouvernementale, scandales, « manège ministériel » –, le pays, lui, subit des bouleversements profonds que le système politique ne freine pas, mais tend même à favoriser.
C'est la période des « Trente Glorieuses », de la modernisation économique du pays, de la révolution agricole, qui transforme la société française par la multiplication des activités industrielles et du nombre des ouvriers, l'exode rural, la croissance de la population urbaine.
Cette période est certes traversée de mouvements sociaux – grèves en 1953, par exemple, dans la fonction publique pour les salaires –, du mécontentement de catégories que l'évolution marginalise – artisans, petits commerçants –, sensibles aux discours antiparlementaires d'un Pierre Poujade.
On proteste contre le poids des impôts. Mais, dans le même temps, Antoine Pinay, président du Conseil et ministre des Finances, rassure par sa politique budgétaire, la stabilisation du franc. Le niveau de vie des Français croît.
La voiture, l'électroménager, la vie urbaine, modifient les comportements. Une France différente apparaît. Les mœurs changent. Les femmes ont le droit de vote, elles travaillent. Et un véritable baby-boom – préparé par les mesures natalistes de Paul Reynaud en 1938, puis de Vichy – marque ces années 1946-1954 et confirme la vitalité de la nation. L'« étrange défaite » ne l'a pas terrassée.
Cet après-guerre illustre ainsi la capacité qu'à toujours eue la France, au long de son histoire, à basculer dans les abîmes, à connaître les débâcles, à sembler définitivement perdue parce que divisée, dressée contre elle-même, envahie, « outragée », puis à se ressaisir, renaître tout à coup et reprendre sa place parmi les plus grands.
Autre caractéristique de l'histoire nationale : les crises qui mettent en cause l'âme du pays sont celles qui associent les maladies internes du système politique et les traumatismes nés de la confrontation avec le monde extérieur.
C'est presque toujours dans ses rapports avec les « autres » que la France risque de se briser. Comme si, trop narcissique, trop enfermée dans son hexagone, trop persuadée de sa prééminence, elle pensait depuis toujours qu'elle l'emporterait sur ceux qui osent la défier.
Simplement parce qu'elle est la France.
Cette France « que la Providence a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires [...] n'est réellement elle-même qu'au premier rang... La France ne peut être la France sans la grandeur » (de Gaulle).
Elle ne « voit » pas les autres tels qu'ils sont, y compris ceux qui participent, quoique différents et éloignés de la métropole, à l'Union française, nom donné par la IV e République à l'empire colonial.
C'est sur ce terrain que le système politique va affronter
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