L'amour à Versailles
audacieux. Une correspondance secrète est découverte, qui laisse entendre que leurs amours n’ont pas été qu’épistolaires. A la Cour, un seul débat : « L'ont-ils fait ? » Tenants et opposants de la chasteté se disputent, chacun ayant dans son escarcelle pléthore d’arguments et de preuves, tandis que les partisans de la virginité de Marie se déchirent entre deux coups : pour les uns, elle reste vierge par vertu, pour les autres, par ambition, souhaitant se faire épouserpar Louis XIV. Bref, on ne parle que de ça, d’autant plus que les tourtereaux s’affichent : bécots à peine dissimulés, fous rires partagés, messes basses visiblement peu pieuses, Louis et Marie forment un couple jeune, beau et scandaleux, proie de toutes les envies et de toutes les médisances. La Cour jase si fort que le pape demande à son chargé d’affaires français si le roi est encore chaste et pourquoi il porte autant d’affection à la nièce de son ministre. Anne d’Autriche tonne, rogne, vilipende, rien n’y fait : son fils, qui lui échappe, se moque du qu’en-dira-t-on comme des menaces maternelles. Dans l’affaire, Mazarin reste prudemment muet : qui ne dit mot consent ?
Aux plaisirs de la bravade et de l’amour, s’ajoute celui de ruser avec la reine mère. Lors d’un voyage à Lyon, alors qu’Anne d’Autriche est éloignée à l’abbaye d’Ainay et Mazarin immobilisé par la goutte, les deux amants se retrouvent la nuit, profitant des traboules pour se rejoindre et tromper la vigilance de Mme de Venel, chargée de veiller sur Marie. Dans ce décor Renaissance, entre la France et l’Italie, Louis et Marie se sont aimés. Le souverain s’en souvient peut-être lorsqu’à la fin de son règne, en 1708, il orne la place Bellecour de la fameuse statue équestre le représentant.
La reine abrite dans sa chambre l’image même de sa vengeance : le portrait peint par Vélasquezd’une enfant à peine pubère, mais petite, royale, espagnole comme elle, et déjà fort vilaine. De l’autre côté des Pyrénées, l’infante toute disgracieuse contemple tous les jours le portrait de Louis XIV par Nocret, cuirassé, chamarré, triomphant et le casque empanaché de grotesques plumes bleues. Si la reine a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la guerre. Sa revanche a vingt ans, le visage mou et un peu de moustache, mais elle est aussi inévitable qu’imparable. Marie-Thérèse d’Espagne est née cinq jours après Louis et appartient à une des plus hautes lignées d’Europe. Les deux Cours sont en pourparlers depuis que les enfants sont viables. Anne d’Autriche se souvient que ses noces étaient censées sceller une alliance entre la France et l’Espagne. Ce fut un échec aussi lamentable que son mariage : avec cette union, elle rachète son fiasco d’épouse. De quoi provoquer un orgasme de triomphe chez cette mère toute-puissante. Il n’y a qu’un mot à dire, celui-ci est prononcé lors d’une entrevue mémorable, dont Louis XIV sort en pleurs : « Tu épouseras l’Espagne, mon enfant ! » Magnanime, la reine permet à son fils d’offrir à celle qui est désormais « une erreur de jeunesse » un collier de perles : elle pourra toujours les compter dans son exil de Brouage.
Louis XIV ne lui en veut même pas : il n’en admire que davantage sa mère de lui avoir appris laraison d’Etat. Quelques mois à peine après la rupture forcée, qui aurait inspiré à Racine sa Bérénice , Louis XIV ouvre avec lassitude les lettres qu’elle lui écrit, préférant s’occuper des préparatifs de son mariage : on lui a promis une belle fête. En 1672, lorsque Marie, mariée au connétable Colonna qui la trompe dès qu’il en a l’occasion, se présente pour rendre visite au roi, celui-ci lui refuse l’accès de Versailles.
Beaucoup de fées se sont penchées sur le berceau du souverain. Il eut aussi une exécrable, et admirable, sorcière : sa mère. « Elle était la plus grande de tous nos rois », déclara-t-il à sa mort. Elle fut aussi son premier ennemi. Autoritaire, cassante, tyrannique et méchante, la régente a tout d’un dictateur en crinoline. Dans leur relation, je vois beaucoup d’orgueil, mais guère d’amour. Celui-ci viendra en 1660 quand Louis XIV, fuyant les souvenirs de la Fronde autant que ceux de sa mère, décidera de s’installer à Versailles.
Chapitre 4
Éventails et paravents
Bâiller derrière son éventail : va-t’en, tu m’ennuies.
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