L'amour à Versailles
Parisiennes. Elle est si timide que Mme de Sévigné la surnomme la « violette cachée sous l’herbe » : pas de danger qu’elle révèle le stratagème. Elle sera discrète, malgré elle. Qui plus est, une chute de cheval l’a laissée estropiée. On l’attache à la tonitruante Henriette comme fille d’honneur, un honneur qu’on lui fait bien sentir et que l’on monnaie, car l’ingénue n’a pas un sou vaillant : la famille emprunte pour lui payer trousseau et équipage jusqu’à Paris. Il n’est même pas la peine de lui expliquer sa mission : quelle jeune femme ne serait pas amoureuse d’un roi de vingt-trois ans ?
Le piège fonctionne à merveille, trop bien, car il semblerait que Louis XIV ne soit pas insensible àla douceur de la doublure. Il se laisse peu à peu séduire par la jeune ingénue, par l’admiration éperdue qu’elle lui porte, par ses longs cheveux dorés et ses yeux candides, à moins que ce ne soit par les petits rubans dont elle orne ses toilettes, ces cravates à noeuds flottants auxquelles elle donne son nom, les lavallières. Au vu et au su de tous Louise et Louis s’aiment : il lui sourit, l’invite à danser en public, pendant que de l’autre côté du château Marie-Thérèse accouche et Henriette écume de colère. La ruse s’avère trop efficace. A force de jouer les amoureux, le roi est de plus en plus tendre vis-à-vis de sa fausse favorite, et ses visites nocturnes à Henriette se raréfient. Pour accréditer l’imposture, Dangeau a été chargé d’écrire des billets doux, mais bientôt c’est par crainte de ne pas rimer assez élégamment pour sa dulcinée, et non par manque d’envie, que Louis XIV demande à l’homme de lettres de rédiger les missives. Le piquant de l’histoire est que, Louise n’étant pas plus douée que le roi, Dangeau se retrouve à faire les lettres et les réponses des deux amants.
Si l’amour avec Henriette avait le goût délicieux du fruit défendu, la liaison avec Louise est perverse jusqu’au raffinement. Avec elle, Louis parvient à tromper à la fois sa femme, sa maîtresse, sa mère et son frère : il triomphe. N’est-elle pas la seulefemme qu’il ne peut aimer, puisqu’on la lui a offerte comme leurre ? Et on la lui sert sur un plateau ! Ajoutez à cela que Louise de La Vallière est légèrement boiteuse, comme une certaine Cateau, timide, pauvre, et le couve d’une admiration dévote : voilà de quoi faire d’un jeune arrogant, d’un fils irrévérencieux et d’un roi autoritaire, le plus heureux des hommes, ou du moins le plus amoureux. Comme avec Marie Mancini, il est à ses yeux le monarque magnanime et bravache des romans qu’il affectionne.
Un problème demeure : avec toutes ces manigances, où va-t-il cacher ses amours? Il lui faut tromper la vigilance de tous ses proches, ainsi que celle de l’Eglise. Finalement, il n’y a guère qu’en public, devant la Cour leurrée qu’il peut agir à sa guise. Bientôt, les longues promenades dans les parcs et les bois royaux ne suffisent plus. La tâche est rendue plus ardue car Louise doit assurer son service auprès d’Henriette, qui ne se lasse pas de la persécuter. Louis avait décidé d’agrandir le château de son père : le petit pavillon modeste, aux portes de Paris, laissé à l’abandon depuis plusieurs années, sera un refuge idéal.
Mazarin vient de mourir, Anne d’Autriche décline, le roi, qui vient tout juste d’être baptisé Soleil, a les mains libres. De son côté, Henriette enrage, d’autant plus que, contre toute attente,Monsieur a le bon goût de la mettre enceinte. Bien entendu, les mauvaises langues n’ont pas besoin de beaucoup d’imagination pour laisser entendre que cet enfant est bien royal, à défaut d’être de Monsieur. Toujours est-il que la jolie belle-soeur est mise hors d’état de nuire, pour un temps du moins. Au même moment, Marie-Thérèse est une fois de plus en couches. Libéré de toutes ses matrones, Louis XIV s’affiche avec Louise au grand jour. Elle est de toutes les fêtes, de toutes les promenades en carrosse. Quand la reine accouche, Louise est présente. Le roi la contraint même, plus tard, à organiser à Versailles un dîner avec l’ensemble des dames de la Cour. A ce souper mémorable où furent réunies autour d’une même table les officielles, les passagères, celles qui auraient pu mais n’ont pas voulu, celles qui auraient voulu mais n’ont pas pu et la troupe innombrable de
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