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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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amas de peaux mortes, desséchées, qui s’écaillaient comme celle d’un serpent ; nos épaules se voûtaient. Une toux sèche nous secouait. La dysenterie nous faisait souffrir et nous marchions en comprimant notre abdomen. Des coliques fréquentes nous secouaient et nous donnaient des malaises intolérables ; il ne fallait pas espérer pouvoir s’arrêter quand la colonne était en marche, et nous mangions de la craie pour essayer de calmer nos douleurs. Notre désarroi était total, et nous commencions à envisager la mort avec sérénité.
    De ma vie entière je ne pourrai oublier l’horrible journée que fut le Lundi Saint. Le matin, travail épuisant sur le terrain d’aviation, temps affreusement triste, un fort vent nous poussait dans tous les sens comme si nous étions devenues de minces tiges de roseaux. La terre elle-même, emportée par le vent, s’envolait à chaque pelletée et se rabattait sur nos vêtements trempés. Puis, l’après-midi, on nous mena à un petit bois de sapins ; le vent s’était calmé, mais une pluie diluvienne s’était mise à tomber, nos robes de toile nous collaient à la peau, nous blessaient dans nos mouvements, car nous nous passions les unes aux autres et sans discontinuer de grosses briques pesant presque deux kilos. Notre colonne s’étirait sur une longueur d’au moins un kilomètre, elle partait du haut d’un petit bois et descendait auprès d’un étang.
    Pendant des heures nous nous sommes passé des briques à une cadence si accélérée que, si nos mains glacées et meurtries en lâchaient une, instantanément nous nous trouvions en avoir trois ou quatre devant nous. L’Aufseherin arrivait furieuse, nous faisait sortir de la colonne et nous rouait de coups, et malheureusement il nous est arrivé bien des fois de lâcher ces maudites briques…
    Je ne puis faire aucun commentaire sur le travail que nous avons fait en Allemagne car tous les mots que je pourrais employer seraient infiniment trop doux. Je crois seulement que si nous avons miraculeusement survécu à toutes ces épreuves, c’est parce que nous avons lutté de toutes nos forces. Nous nous sommes acharnées à vouloir vivre, coûte que coûte, nous avons essayé de garder un moral magnifique, la revanche devait arriver et puis, surtout, Dieu nous a protégées.
LE SAMEDI 21 AVRIL
    Toujours dans l’usine de Schoenfeld.
    Il est sept heures du matin, un silence inhabituel règne, pas un bruit, pas un seul hurlement. Les portes du dortoir sont toujours fermées. Nous entendons le bruit sourd du canon qui tonne. Cependant, il y a tant de mois que nous l’entendons que nous nous sommes peu à peu habituées.
    Pourtant, aujourd’hui, en écoutant bien, le son du canon est nettement plus fort ; nous montons sur le rebord du lavabo et nous voyons, au loin, une épaisse fumée. Toutes les prisonnières sont anxieuses, nous nous rendons compte que cette fois-ci il se passe quelque chose de vraiment anormal. Les bobards passent de bouches à oreilles. Les unes pensent que l’on nous a abandonnées et veulent tout casser pour pouvoir s’échapper, les autres croient (ce qui n’est vraiment pas réjouissant), que les S.S. sont tous partis craignant l’arrivée de l’Armée Rouge, et que s’ils nous ont enfermées, c’est que nous allons certainement sauter car l’usine est minée.
    Enfin, onze heures sonnent, nous sommes toutes dans un état de surexcitation intense. Les portes du dortoir s’ouvrent :
    — « Appel, appel, schnell, schnell ! »
    Nous voilà de nouveau toutes en rangs, dans ce hall triste et glacial. Le kommandant arrive en tête de sa troupe. Afin de paraître plus grand, plus noble, plus imposant, il monte sur un tas de ferrailles abandonnées dans un coin. De son perchoir il nous fait un admirable discours en allemand, nous apprenant que nous allons quitter d’un moment à l’autre l’usine pour nous rendre au camp d’Oranienburg, à moins que nous allions toutes dans une caserne de la Jeunesse hitlérienne qui se trouve sur la route et où nous serons toutes fusillées.
    Au milieu d’une agitation fiévreuse, nous préparons nos bagages, préparatifs qui consistent à savoir ce que nous allons emporter de nos trophées. Certaines ont ramassé les quarts en aluminium, d’autres ont volé des morceaux d’étoffe à carreaux bleus et blancs du Revier dans l’espoir de s’en faire un jour de ravissantes blouses, d’autres encore rassemblent les modestes

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