Le camp des femmes
mariée à dix-huit ans, mère à dix-neuf ans d’une petite fille, d’une situation aisée, je ne m’intéressais pas à la politique en général, ni à celle de mon pays en particulier… Mais seulement aux problèmes quotidiens d’une vie facile, mais sans ferveur.
Je me suis éveillée en juin 1940 en entendant le maréchal Pétain proclamer l’Armistice. J’avais vingt-huit ans. J’étais dans une section motorisée de la Croix-Rouge. Tout s’effondrait pour moi. La notion de Patrie que cette « drôle de guerre » éclair avait éveillée en moi se révoltait avec une intensité qui me submerge encore maintenant, trente ans après.
À quoi allait me servir cet apprentissage au travail qui datait seulement de quelques mois, lorsque j’avais été « appelée » par Suzanne Crémieux, amie de ma famille (maintenant Sénateur du Gard) mais alors présidente d’un service au ministère de la Santé Publique, afin de l’aider dans ce service consacré depuis le mois de mars à l’évacuation des enfants de Paris. Je m’étais également engagée dans les Sections Sanitaires Automobiles et j’avais participé aux évacuations de Rethel, Soissons, Sedan, Laon, Château-Thierry.
Je me sentais incapable de reprendre la vie semi-oisive qui avait été la mienne jusqu’au drame de 1939. Dans cet état d’esprit, je me suis consacrée au service des S.S.A. avec une sorte d’acharnement et de défi, aux visites des camps provisoires de prisonniers : à Châteaubriant, Savenay, Saint-Lô, etc. même à certains camps de prisonniers noirs dans le Bordelais.
Cette activité m’a, un beau jour de 1941, mise en présence à Marseille, par l’intermédiaire du commandant Raynal, du commandant Faye qui débarquait de Londres. Le commandant Faye, à son tour, m’a mise en rapport avec le colonel Alamichel, puis un peu plus tard avec Marie-Madeleine. Le réseau « Alliance », puis le réseau « Centurie » ont fait de moi une nouvelle Odette Fabius, qui allait être arrêtée le 23 avril 1943 chez un monsieur Amphoux, marchand de charbon à Marseille, dont le bureau servait de « boîte aux lettres » et que je venais avertir du démantèlement de notre réseau. Trois résistants corses de Marseille, Pierre Ferri Pisani, Jean Secco et Mathieu Anfriani, avaient été arrêtés à notre P.C. chez moi, le matin même. Malheureusement, la Gestapo était avant moi au rendez-vous !
Après deux mois passés à la prison Saint-Pierre de Marseille, neuf mois à Fresnes, dont cinq mois au secret, un mois au fort de Romainville, un mois à la prison de Compiègne, puis trois jours au camp de Royallieu à Compiègne, je me suis trouvée, à 5 heures du matin, le 29 janvier 1944, chantant la Marseillaise et le Chant du départ, dans une charrette de la Révolution, me rendant à la gare de Compiègne pour le grand départ… vers Ravensbrück.
Nous étions 1 000, celles que notre matricule a fait appeler « les 27 000 ».
Le voyage, en wagons à bestiaux plombés, pendant trois jours et quatre nuits, malgré toute son horreur, ne laissait en rien prévoir ce que serait le calvaire des jours concentrationnaires, trois jours pendant lesquels, quatre-vingts par wagon, nous chantâmes en chœur, nous partageâmes les provisions que certaines d’entre nous avaient pu emporter et qui représentaient un merveilleux supplément au pain et au saucisson quasi immangeables distribués sur le quai du départ.
Nous nous disputions, les unes voulant fumer, d’autres s’y opposant, imaginant le danger réel de la paille dans laquelle nous étions parquées prenant feu en pleine campagne, sans aucun moyen de sortir de notre prison roulante ou d’avertir âme qui vive.
Nous traversâmes des gares, croisâmes des trains de prisonniers avec lesquels nous cherchions à communiquer ; c’était à celles qui obtiendraient pendant quelques instants et à tour de rôle le droit « d’être à la lucarne » du wagon, pour « voir », mais surtout pour essayer de respirer quelques secondes un air moins vicié que celui du wagon empuanti par les besoins naturels de quatre-vingts femmes se bousculant autour des tinettes qui ne furent vidées qu’une fois, au seul arrêt « officiel » de notre transport, en gare frontière de Sarrebruck… Arrêt qui permit aux S.S. de nous recompter une fois encore, avec distribution de coups de ceinturons et de sticks.
Dans quelques gares où le convoi faisait de courtes
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