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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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qui s'imposait à un honnête homme consistait à sauver les apparences. Il montrerait ainsi qu'il mesurait à petite aune ce qu'un commun mortel eût pris pour une catastrophe. M. de Noblecourt, avec son usage du siècle et des hommes, était convaincu que Le Noir reviendrait sur ses préventions initiales. Il fallait déchiffrer dans sa première réaction celle, naturelle, de quelqu'un qui souhaitait en imposer aux autres et à lui-même. Nicolas ne devait pas oublier qu'il était le protégé et l'ami de M. de Sartine, que celui-ci avait intrigué pour le faire nommer à sa place, espérant par là continuer à contrôler cet important rouage de la machine de l'État et cet instrument privilégié d'influence auprès du souverain. Les échos qui revenaient à M. de Noblecourt sur le nouveau lieutenant général de police présentaient un tout autre paysage moral. On évoquait une grande netteté dans les idées, une conversation agréable, une pénétration vive et un jugement exquis. Ses études profondes et sérieuses n'avaient, disait-on, nullement altéré en lui les grâces et les ornements de l'esprit le plus aimable. C'était, en outre, un amateur éclairé dans le domaine des arts et des lettres. Bref, il paraissait urgent d'attendre, car les événements font quelquefois naître notre salut des causes dont nous attendions notre ruine.
    Le discours de M. de La Borde, quoique différent, allait dans le même sens. Il avait, dès le lendemain de la mort du roi, décidé d'oublier un passé heureux mais caduc. Il fallait se faire une raison ; ils étaient désormais, l'un et l'autre, «  vieille cour  », et cela pour un temps indéterminé sinon pour toujours. Lui-même orientait son activité vers des occupations que ses fonctions auprès du souverain lui avaient fait négliger. Sous le sceau du secret, il confia à Nicolas que le feu roi avait promis de le dédommager d'un sacrifice financier que lui-même avait naguère consenti pour entrer à son service. Mieux, il avoua à Nicolas, étonné d'une situation qu'il n'avait jamais soupçonnée, sa décision de s'acheter une conduite après une vie de légèreté et de dissipation. Il venait d'épouser Adélaïde-Suzanne de Vismes, de dix-neuf ans sa cadette. La cérémonie, arrêtée pour le 1 er juillet, avait été reportée en septembre et discrètement célébrée en raison du deuil public. Sa femme, éprouvée par les événements et la désillusion de leur espérance, était tombée dans l'état le plus fâcheux de langueur, d'échauffement et de pleurs. En veine de sincérité, La Borde, sans doute inspiré par la récente paternité de Nicolas, lui découvrit avoir lui-même légitimé, quatre ans auparavant, une fille naturelle de sa liaison avec La Guimard, la célèbre actrice. Ce récit sembla le soulager et, écartant à l'instant le rappel de ses propres soucis, il en revint à ceux de son ami 2 .
    Il tenta, avec flamme, de faire oublier sa morosité à Nicolas. Voilà qu'on lui octroyait du loisir ; pardieu, qu'il en prenne l'usage et s'attache à procurer à son fils les rentes de son affection ! Un homme qui avait étudié le monde savait le temps et l'occasion d'agir. Il devait adapter ses moyens et mettre ses raisonnements au service de ses fidélités. Son conseil se résumait en cette formule italienne Volto scelto i pensieri strelli , « Visage ouvert et pensées secrètes ». Dissimulation et secret devaient se cultiver ; le commissaire devait s'effacer pour un temps devant le marquis de Ranreuil. Qu'il utilise les inconvénients d'une apparente disgrâce pour s'en revêtir comme d'une cuirasse dans une société où la moindre faiblesse était remarquée et donnait des armes contre soi pour vous persifler ou vous écraser. Qu'il se multiplie dans les bons endroits et que le roi, dont il était connu, le remarque par son assiduité et son expérience au cours des chasses et des tirés où il avait été admis par la grâce de Louis XV. Ainsi, rien ne viendrait justifier ou conforter l'idée que M. Le Noir le tenait en lisière. On n'éclaircissait rien en discutant. La Borde s'attristait de constater que les temps avaient bien changé : une saillie de M. de Maurepas importait plus autour du trône que la sauvegarde d'un bon serviteur.
    Nicolas s'inspira des judicieux conseils de ses amis. Jugeant que le salut résidait dans l'ambiguïté voulue de sa conduite, qui orienterait les commentaires dans des sens opposés

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