Le dernier vol du faucon

ses cornes. Le tigre se jeta sur lui. Dans la terrible mêlée, les cornes frappaient furieusement de tous côtés mais, nullement intimidé, le fauve planta ses crocs dans le cou de sa proie. L'air retentit des cris de l'animal mis à mort.
    Une chape de silence tomba sur la clairière.
    Le tigre s'étendit sur l'herbe et commença à festoyer. Pendant qu'il était ainsi occupé, les mahouts dirigèrent tranquillement leurs éléphants vers lui. Quand l'animal leva enfin les yeux, ce fut pour voir le cercle de pachydermes se refermer sur lui. Furieux, il abandonna son festin à peine commencé, se redressa et jeta un regard de défi aux mahouts en adressant un grognement à chacun d'eux. Ainsi que l'exigeait la
    règle, ils n'étaient pas armés, mais les éléphants avaient la tête et la trompe recouvertes d'un épais caparaçon de cuir.
    Sans avertissement, le tigre se retourna d'un bond et, rapide comme l'éclair, sauta avec agilité sur l'éléphant situé juste derrière lui. Le mouvement fut si soudain que le mahout eut à peine le temps de pousser un cri. Il fut tiré à bas de sa monture, les énormes crocs du félin plantés dans sa cheville.
    Attaché à son cornac par de longues années de service, l'éléphant lança un barrissement strident et entra en action. Sa trompe se leva juste au moment où le mahout était arraché de son dos. En un éclair, elle s'enroula autour de la taille de l'homme et l'éleva bien haut pour le mettre à l'abri. Mais le tigre, les dents toujours plantées dans sa chair, restait accroché à lui.
    La foule, massée à l'orée de la clairière, se mit à trembler en contemplant le pied de l'homme, complètement sectionné, dans la gueule du tigre. Dans les arbres, non loin de là, les criaillements d'une bande de singes, excités par ce spectacle imprévu, allèrent crescendo.
    Distrait de sa chasse, le tigre retomba à terre, la gueule pleine, et se retourna, toujours grondant, vers l'éléphant. Replacé sur son siège, le malheureux mahout luttait pour garder l'équilibre, hurlant à chaque fois que le moignon de sa jambe heurtait le flanc du pachyderme. Les autres éléphants, étroitement maîtrisés par leurs mahouts, s'avançaient toujours en un cercle belliqueux. A moins d'être eux-mêmes attaqués, ils ne devaient pas intervenir dans le combat afin que celui-ci se déroule selon les règles.
    Le tigre bondit une nouvelle fois pour chercher à atteindre de ses griffes les yeux de l'éléphant. Mais l'énorme animal se détourna avec une agilité surprenante et écarta le tigre de sa trompe. Ce dernier luttait sauvagement, enfonçant ses crocs dans les parties non protégées par le caparaçon. L'éléphant finit par lâcher prise et le tigre retomba à terre. Il se remit sur
    ses pattes et fit une nouvelle volte-face, un instant immobile, cherchant son souffle. Il bougea soudain si rapidement que l'éléphant lui-même fut pris au dépourvu. D'un bond d'une puissance sans pareille, le fauve sauta sur le dos du pachyderme d'où il arracha l'infortuné mahout. L'éléphant se dressa sur ses pattes arrière et le tigre, lâchant prise, roula à terre, réussissant malgré tout à entraîner avec lui le mahout pantelant. Avec une sauvage férocité, il le mit en pièces sans cesser de gronder.
    Rendu furieux par le sort de son mahout, l'éléphant chargea et souleva le tigre avec sa trompe. D'un puissant balancement, il lança la bête en l'air en direction de l'éléphant voisin qui s'avança adroitement et l'attrapa dans ses défenses comme un ballon. Avec une adresse incroyable, les éléphants en cercle se lancèrent le tigre de défenses en défenses jusqu'à ce que l'un d'eux, plus lent que les autres, le laisse tomber. Affolé, le fauve se redressa, puis bondit une nouvelle fois pour tenter de planter ses griffes dans l'éléphant, là où la peau n'était pas protégée par le caparaçon de cuir. Il saisit la trompe et s'acharna dessus avec de vigoureux coups de griffes, contraignant l'éléphant, dans sa douleur, à s'agenouiller. Les autres vinrent alors à son secours et levèrent leurs pattes puissantes. L'une d'entre elles finit par s'abattre sur la tête du tigre qui continuait à se débattre et l'écrasa, le tuant net.
    Les autres mahouts sautèrent à terre et couvrirent les restes déchiquetés de leur camarade avec des couvertures, tandis que leurs éléphants entouraient leur congénère orphelin de son mahout pour le consoler de sa perte.
    On