Le dernier vol du faucon
la voie maritime, alors pourquoi ne pas explorer d'autres routes ? »
Sunida avait l'air perplexe. «Qui est ce Marcoporo, mon Seigneur?
- Un aventurier comme moi, répondit Phaulkon. Tu l'aimerais, j'en suis sûr.
- Je suis très heureuse avec vous, mon Seigneur. Que ce Marcoporo se trouve quelqu'un d'autre.»
Tous éclatèrent de rire.
«Cependant, nous allons devoir vendre un de tes rubis avant d'aller en Chine, Sunida, reprit-il. La route sera longue à travers gorges et montagnes. Il nous faudra des guides, des provisions...
- Gardez vos rubis pour la Chine, Sunida, dit Mark en s'avançant. J'ai assez d'or pour y aller et même en revenir. »
Tous lui jetèrent un regard surpris.
«Anek m'a donné cette bourse, dit-il. Il semble que mon honoré père n'ait pas été un si bon moine que ça. Il gardait une petite fortune dans l'ourlet de sa robe ! Anek a pensé que s'il la lui remettait, il risquait de la refuser. Alors il me l'a donnée à moi. » Mark eut un petit rire. «Avec six bouches à nourrir, c'est plus raisonnable, n'est-ce pas?
- Sept, déclara Ivatt. Je viens d'acheter une épouse. »
Ils le contemplèrent avec stupéfaction. «Comment
aurais-je pu trouver une Siamoise en France? Malheureusement, j'ai dû donner toutes mes économies pour constituer sa dot. Je comptais vous emprunter de l'argent, Mark, ainsi qu'à votre mère. Après tout, ne vous ai-je pas nourris à Mergui ? »
La joie fut générale.
Phaulkon se tourna vers lui. «Où est-elle? Nous voudrions la voir avant de donner notre consentement. »
Ivatt sourit. « Elle nous rejoindra plus tard. Elle prépare ses bagages pour aller en Chine. »
Ils partirent le lendemain au petit jour. Le lever du soleil fut une splendeur, une boule de flammes jaunes si proche qu'on aurait presque cru pouvoir la toucher. Elle surgit soudain derrière la chaîne orientale des montagnes et plongea la verte vallée dans une lumière limpide. Les brumes qui s'étaient accumulées dans les creux se dissipèrent et un ciel immense et radieux se déploya au-dessus d'un paysage d'une beauté intemporelle.
Phaulkon chevauchait à côté de Sunida qui tenait la petite Supinda nichée contre elle. Nellie et Mark suivaient puis Ivatt, tenant par la main une grande
Siamoise, une beauté du Nord, qui souriait timidement à tout le monde. Deux guides ouvraient la marche, deux porteurs fermaient le convoi.
Le site était spectaculaire, et Phaulkon laissa errer ses pensées, se remémorant les prédictions de la vieille devineresse. Elle avait vu juste sur bien des points mais, heureusement, s'était trompée sur le dernier: sa terrible exécution et son tombeau au bord d'un lac.
Phaulkon et Sunida prirent quelque retard sur les guides qui entamaient l'escalade des premiers contreforts montagneux. Phaulkon se tourna pour observer la jeune femme.
«Sunida?
- Mon Seigneur?
- Nous allons bientôt quitter le territoire siamois. De ce pays que j'aime, il ne me restera que toi. Je voudrais que tu me fasses une promesse.
- Tout ce que vous voudrez, mon Seigneur.
- Il faut que tu me promettes de rester toujours une vraie Siamoise, où que nous nous trouvions et quelles que soient les influences auxquelles tu seras exposée.
- Mon Seigneur, je ne cesserai jamais de vous baigner, de vous masser, de cuisiner pour vous les plats épicés que vous aimez. En tous lieux, vous resterez pour moi le grand Barcalon et je ne manquerai jamais de me prosterner devant vous et devant votre première épouse. »
Il la regarda, surpris.
« Ma première épouse ?
- Oui, mon Seigneur. Elle chevauche derrière nous. Et il faut que vous l'épousiez car je l'aime vraiment beaucoup.
- Mais... qu'est-ce qui te fait penser qu'elle acceptera ta présence ? »
Sunida sourit. «C'est déjà fait, mon Seigneur. Et c'est son désir tout autant que le mien.»
Profondément ému, le Faucon du Siam se détourna. Puis, lentement, il joignit les mains et s'inclina.
ÉPILOGUE
Après avoir épousé les deux princesses - la sœur et la fille du roi Naraï -, le général Petraja se couronna lui-même roi de Siam. Chacune de ses épouses lui donna un fils. Il régna quinze ans, mena de nombreuses guerres et mourut à l'âge de soixante-douze ans. L'un de ses fils entra au monastère, l'autre fut assassiné par son successeur, le Tigre.
Le Tigre, connu autrefois sous le nom de Luang Sorasak, se distingua par ses vices et sa brutalité. Il épousa la princesse Yotatep, fille du
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