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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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populations arctiques. Lainages, couvertures, toiles à sac, nous empaquettent, nous surmontent, nous arrondissent étrangement. Quelques-uns s'étirent, vomissent des bâillements. On perçoit des figures, rougeoyantes ou livides, avec des salissures qui les balafrent, trouées par les veilleuses d'yeux brouillés et collés au bord, embroussaillées de barbes non taillées ou encrassées de poils non rasés.
    Tac ! Tac ! Pan ! Les coups de fusil, la canonnade. Au-dessus de nous, partout, ça crépite ou ça roule, par longues rafales ou par coups séparés. Le sombre et flamboyant orage ne cesse jamais, jamais. Depuis plus de quinze mois, depuis cinq cents jours, en ce lieu du monde où nous sommes, la fusillade et le bombardement ne se sont pas arrêtés du matin au soir et du soir au matin. On est enterré au fond d'un éternel champ de bataille ; mais comme le tic-tac des horloges de nos maisons, aux temps d'autrefois, dans le passé quasi légendaire, on n'entend cela que lorsqu'on écoute.
    Une face de poupard, aux paupières bouffies, aux pommettes si carminées qu'on dirait qu'on y a collé de petits losanges de papier rouge, sort de terre, ouvre un œil, les deux ; c'est Paradis. La peau de ses grosses joues est striée par la trace des plis de la toile de tente dans laquelle il a dormi la tête enveloppée.
    Il promène les regards de ses petits yeux autour de lui, me voit, me fait signe et me dit :
    – Encore une nuit de passée, mon pauv' vieux.
    – Oui, fils, combien de pareilles en passerons-nous encore ?
    Il lève au ciel ses deux bras boulus. Il s'est extrait, à grand frottement, de l'escalier de la guitoune, et le voilà à côté de moi. Après avoir trébuché sur le tas obscur d'un bonhomme assis par terre, dans la pénombre, et qui se gratte énergiquement avec des soupirs rauques, Paradis s'éloigne, clapotant, cahin-caha, comme un pingouin, dans le décor diluvien.
    Peu à peu, les hommes se détachent des profondeurs. Dans les coins, on voit de l'ombre dense se former, puis ces nuages humains se remuent, se fragmentent… On les reconnaît un à un.
    En voilà un qui se montre, avec sa couverture formant capuchon. On dirait un sauvage ou plutôt la tente d'un sauvage, qui se balance de droite à gauche et se promène. De près, on découvre, au milieu d'une épaisse bordure de laine tricotée un carré de figure jaune, iodée, peinte de plaques noirâtres, le nez cassé, les yeux bridés, chinois, et encadrés de rose, une petite moustache rêche et humide comme une brosse à graisse.
    – V'là Volpatte. Ça ira-t-il, Firmin ?
    – Ça va, ça va t'et ça vient, dit Volpatte.
    Il a un accent lourd et traînant qu'un enrouement aggrave. Il tousse.
    – J'ai attrapé la crève, c'coup-ci. Dis donc, t'as entendu, c'te nuit, l'attaque ? Mon vieux, tu parles d'un bombardement qu'ils ont balancé. Quelque chose de soigné comme décoction !
    Il renifle, passe sa manche sous son nez concave. Il fourre sa main dans sa capote et sa veste, cherchant sa peau, et se gratte.
    – À la chandelle, j'en ai tué trente ! grommelle-t-il. Dans la grande guitoune, à côté du passage souterrain, mon vieux, tu parles s'il y a quelque chose comme mie de pain mécanique ! On les voit courir dans la paille comme je te vois.
    – Qui ça a attaqué, les Boches ?
    – Les Boches et nous aussi. C'était du côté de Vimy. Une contre-attaque. T'as pas entendu ?
    – Non, répond pour moi le gros Lamuse, l'homme-bœuf. J'ronflais. Faut dire que j'ai été de travaux de nuit, l'autre nuit.
    – Moi, j'ai entendu, déclare le petit Breton Biquet. J'ai mal dormi, pas dormi pour mieux dire. J'ai une guitoune individuelle. Ben, tenez, la v'là, c'te putain-là.
    Il désigne une fosse qui s'allonge à fleur du sol, et où, sur une mince couche de fumier, il y a juste la place d'un corps.
    – Tu parles d'une installation à la noix, constate-t-il en hochant sa rude petite tête pierreuse qui a l'air pas finie, j'ai presque point roupillé : j'étais parti pour, mais j'ai été réveillé par la relève du 129 e qui a passé par là. Pas par le bruit, par l'odeur. Ah ! tous ces gars avec leurs pieds à hauteur de ma gueule. Ça m'a réveillé, tellement ça me faisait mal au nez.
    Je connais cela. J'ai souvent été réveillé, moi, dans la tranchée, par le sillage de senteur épaisse qu'une troupe en marche traîne avec elle.
    – Si ça tuait les gos, seulement, dit Tirette.
    – Au

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