Le prince des ténèbres
Mais Philippe IV tint bon. Comme le montrent certains documents au Record Office à Londres et à la Bibliothèque nationale à Paris, il comptait, grâce à ce mariage, faire l’un de ses petits-fils duc d’Aquitaine et l’autre roi d’Angleterre. Comme parfois à l’époque actuelle, ces projets eurent les conséquences inverses : les trois fils de Philippe IV n’eurent pas d’héritier, et c’est le fils d’Isabelle, le grand roi Édouard III, ardent conquérant, qui brigua la succession à la couronne de France, plongeant ce pays dans la terrible guerre de Cent Ans.
Les documents concernant l’amour que portait le jeune Édouard à Gaveston ne manquent pas. La plupart des historiens admettent que le prince était bisexuel. Il déclarait ouvertement qu’il aimait son favori « plus que la vie ». Gaveston était un parvenu gascon dont la mère avait été brûlée vive pour sorcellerie, et qui fut, lui aussi, soupçonné de s’adonner à la magie noire. Édouard Ier finit par le bannir, mais son fils, devenu roi, rappela Gaveston et le nomma comte de Cornouailles. Le jeune roi épousa bien Isabelle de France, mais il donna à son favori tous les cadeaux de mariage de Philippe IV, y compris le lit de noces. La cérémonie du couronnement du couple, organisée par Gaveston, fut un désastre total : les plats étaient froids, des participants périrent étouffés dans la cohue et le Gascon provoqua l’indignation de la noblesse anglaise en s’appropriant constamment la place d’honneur. Jeune homme d’une grande beauté, jouteur émérite, Gaveston était fort spirituel, surtout quand il s’agissait de choisir des surnoms aux nobles anglais, et cela n’arrangeait guère la situation. Il fit preuve d’esprit à la veille même de sa mort.
En 1312, les grands barons le capturèrent et le retinrent prisonnier à Blacklow Hill dans le Warwickshire. Gaveston demanda à l’un de ses geôliers, le comte de Warwick :
— Monseigneur, vous ne gâterez pas ma beauté en me coupant la tête, n’est-ce pas ?
Warwick lui donna satisfaction en le poignardant au coeur. Le jeune Édouard fut accablé de chagrin. Il fit embaumer le corps de Gaveston et le garda au palais de Kings Langley jusqu’à ce que les dignitaires de l’Église le forcent à lui donner les rites funéraires.
Il existe un lien intéressant entre les favoris d’Édouard II et l’actuelle famille royale. Après la mort de Gaveston, Édouard choisit un nouveau favori, le sinistre mais compétent Hugh de Spencer, dont on peut voir la tombe dans l’abbaye de Tewkesbury, dans le Gloucestershire. L’influence de Spencer sur le jeune roi amena une guerre civile entre Edouard et Isabelle. La reine fut victorieuse. Spencer périt d’une mort horrible, et, selon la chronique, les Communes jurèrent de ne jamais laisser un Spencer monter sur le trône. Le fils du prince Charles et de Diana Spencer, l’une des descendantes de Hugh de Spencer, montera-t-il sur le trône pour enfin lever la malédiction qui pèse sur l’une des plus anciennes familles d’Angleterre ?
Paul C. Doherty, 1992
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