Le Serpent de feu
Nathaniel.
— Néanmoins, reprit son double en se lissant le bout de la moustache, la raison pour laquelle nous avons fait appel à votre sagacité n’est pas sans un certain rapport avec ce digne Ankhéramon.
— Pourriez-vous être plus clair ? coupa Jim. Je me permets de rappeler que dans votre courrier, ainsi que tout à l’heure au téléphone, vous êtes restés peu diserts sur la nature de vos ennuis.
— C’est pourtant vrai. Ah ! Nous ne vous remercierons jamais assez de nous avoir rendu visite avec autant de diligence. Je t’en prie, Archie !
— Mais non, Nathan. Il te revient à toi l’honneur de commencer.
— Tu es vraiment trop aimable. Vous savez sans doute, messieurs, que les anciens Égyptiens, comme les Chinois, comme les Tibétains, dont la croyance en l’immortalité concernait autant l’âme que le corps, pour peu que ce dernier ne se fût pas décomposé, embaumaient leurs défunts selon des rites précis. En général, le cadavre était éviscéré, puis rempli par les cavités naturelles d’un composé à base de carbonate de soude et d’aromates divers afin d’obtenir une dessiccation totale des tissus. Après avoir été traités également, les viscères étaient placés dans des vases sacrés, ou bien encore repositionnés dans le corps. Enfin, on entourait ce dernier avec de multiples épaisseurs de bandelettes enduites de gomme et on le mettait en bière de façon hermétique, pour le protéger de l’air et de l’humidité.
Le buste cambré, Nathaniel passa le relais à son associé mais non moins jumeau, d’une invite courtoise de la main.
— Durant l’ère chrétienne, l’Occident était relativement au fait des techniques égyptiennes grâce aux copistes de l’Église, mais l’art de l’embaumement a subi un sérieux coup d’arrêt avec l’interdiction des autopsies et de la dissection dans les universités. En 1300, le pape Boniface VIII menaçait d’excommunication ceux qui extrayaient les viscères du corps des défunts. Les personnages royaux n’en continuaient pas moins à subir une certaine forme d’embaumement, consistant à remplir le cadavre éviscéré d’aromates tels que le miel, le musc ou l’ambre. Il a fallu attendre le XVII e siècle pour voir cet art connaître un nouvel élan. Mais alors, que de découvertes en l’espace de quelques lustres !
Archibald avait prononcé la dernière phrase de façon soudain très passionnée. Quant à son frère, il n’était pas en reste, car il enchaîna aussitôt, les yeux tout aussi pétillants.
— Un Hollandais, Frederik Ruysch, a mis au point la recette de la « liqueur balsamique préservative », restée secrète jusqu’à sa mort, qui rendait au cadavre l’apparence de la vie. Un autre Hollandais, Jan Swammerdam, après leur avoir fait subir un traitement particulier, plongeait les corps plusieurs semaines dans un grand vase d’étain contenant de l’huile de térébenthine. Selon certains textes, Swammerdam possédait un cabinet de curiosités unique en son genre, où étaient exposés une incroyable quantité de corps embaumés. On eût dit qu’il s’agissait d’hommes ou de femmes endormis, prêts à se lancer dans une causerie dès leur réveil.
— Gabriel Clauderus a proposé de composer une solution de muriate de potasse et d’ammoniaque, et d’y plonger tout le corps. Louis De Bils se vantait de pouvoir préserver les dépouilles de la putréfaction en utilisant des bains de poivre, de sel gemme, d’eau-de-vie et de vinaigre, le tout additionné d’épices. Dubois était partisan de l’alcool amylique, tandis que Falcony préférait les sels de zinc mélangés à de la sciure de bois. Il est impossible d’énumérer la foule de substances qui furent employées pour tenter de découvrir le secret de la préservation des corps : des huiles, des acides, des teintures, des liniments composés, des saumures, des poudres faites de toutes les parties des plantes balsamiques ou aromatiques.
Archibald et Nathaniel continuaient leur partie de tennis oratoire, sans se départir d’une urbanité de tous les instants.
— Au siècle dernier, d’autres chercheurs ont repris le flambeau. Le Français Jean-Nicolas Gannal a mis au point une technique révolutionnaire au moyen d’une simple injection artérielle à base d’acétate d’alumine et d’eau saturée d’arsenic blanc. Pour la première fois, il était envisagé de pouvoir conserver un cadavre
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