L'empereur des rois
recevoir après des mois d’absence. Qu’imagine-t-elle ? A-t-elle peur ? Il faudra bien qu’elle accepte ma décision .
Il se lève et commence à marcher. Il prise. Il ne se préoccupe plus de Cambacérès. D’ailleurs, il n’attend rien de l’archichancelier, sinon qu’il écoute ce qu’il doit lui dire.
Il a décidé de divorcer, dit-il, et le plus tôt sera le mieux. Mais que Cambacérès garde le secret. Il faut d’abord parler à Joséphine et lui faire expliquer les raisons de cette décision par Eugène de Beauharnais ou par Hortense. Mais il préfère le vice-roi d’Italie à la reine de Hollande. Eugène est comme un fils. Il est soucieux des intérêts de la dynastie. Il donnera à sa mère de bons conseils.
— J’ai réellement aimé Joséphine, dit Napoléon.
Il est songeur, s’éloigne de Cambacérès, revient vers lui.
— Mais je ne l’estime pas, reprend-il. Elle est trop menteuse.
Cambacérès se tait.
— Elle a un je-ne-sais-quoi qui plaît, reprend-il. C’est une vraie femme.
Il rit, murmure comme pour lui-même :
— Elle a le plus gentil petit cul qui soit possible.
Le visage empourpré de Cambacérès l’enchante. Cet homme-là ne saura jamais ce que c’est qu’une femme. Ses goûts sont ailleurs.
— Joséphine est bonne, ajoute Napoléon, dans ce sens qu’elle invite tout le monde à déjeuner. Mais se priverait-elle de quelque chose pour donner ? Non !
Il s’emporte tout à coup.
Où est-elle ? À Saint-Cloud, alors que je suis ici, qu’elle aurait dû s’y trouver pour m’accueillir !
Il renvoie Cambacérès, dicte un courrier pour Eugène puis commence à travailler, examinant les dépêches.
L’Espagne, toujours. La guerre s’y prolonge. Il lit et relit la lettre que le général Kellermann a fait parvenir à Berthier.
« C’est en vain qu’on abat d’un côté les têtes de l’hydre, écrit le fils du héros de Valmy, aujourd’hui vieux maréchal. Elles renaissent de l’autre, et sans une révolution dans les esprits, vous ne parviendrez de longtemps à soumettre cette vaste péninsule ; elle absorbera la population et les trésors de la France. »
L’Espagne me ruine. Joseph est incapable de maîtriser le pays. Les maréchaux Soult ou Mortier, qui y combattent, remportent des victoires qui ne sont jamais décisives. Faudra-t-il que je prenne à nouveau le commandement des armées d’Espagne ?
« J’en reviens à dire, écrit le général Kellermann, qu’il faut la tête et le bras d’Hercule. Lui seul, par la force et l’adresse, peut terminer cette grande affaire, si elle peut être terminée. »
Il faudra que Berthier parte en Espagne pour y préparer ma venue. Hercule ! Napoléon sourit. Hercule frappera, plus tard, après, quand il en aura fini avec Joséphine.
Ces bruits de pas et de voix dans les galeries du château puis dans l’antichambre annoncent sans doute l’arrivée de Joséphine à Fontainebleau. Enfin !
Il passe dans la bibliothèque d’un pas rapide. Il s’y enferme, commence à écrire. Il lui en veut du malaise qu’il ressent, de cette impossibilité où il est de lui parler dès ce soir.
Elle entre.
Il ne veut pas lever la tête. Elle ne dit rien. Voilà plus de sept mois qu’ils ne se sont vus. Pourquoi n’est-elle pas venue comme il le lui avait demandé ? Quelle habileté est-ce encore là ? Pense-t-elle qu’il est impatient ?
Il se redresse. Elle pleure silencieusement.
— Ah, vous voilà, madame. Vous faites bien, car j’allais partir pour Saint-Cloud.
Elle balbutie, elle s’excuse. Ce n’est pas cela qu’il veut ! Il veut qu’elle comprenne le moment où ils en sont arrivés de leur vie. Qu’elle lui rende la tâche facile. Qu’elle accepte !
Il l’embrasse. Il ne ressent rien que de la gêne.
Il déteste cette situation. Il ne peut lui parler alors qu’il doit le faire. Il ne supporte pas qu’elle paraisse devant lui avec ce visage gris, ces yeux remplis de larmes, ce regard de bête traquée.
Les jours suivants, il quitte le château dès qu’il le peut.
Il chasse avec une sorte de rage dans cet automne rayonnant de l’Île-de-France. Il chasse à courre dans la forêt de Fontainebleau, dans les bois de Boulogne ou de Versailles, autour de Melun et de Vincennes.
Quand il rentre au château de Fontainebleau et qu’il aperçoit Joséphine tenant son cercle dans son salon, il ne lui jette qu’un coup d’oeil. Tant qu’il ne lui
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