L'empereur des rois
Napoléon.
— Il se peut que leurs têtes de colonne, en ce moment, franchissent la frontière, répond le général Zastrow en s’inclinant. Le roi n’attend pour leur faire rebrousser chemin qu’une parole rassurante.
Napoléon lui tourne le dos.
— Oh, si les Russes viennent, dit-il, je marche contre eux et je veux les battre.
Il faut quelques pas, revient vers Zastrow.
— Mais les négociations peuvent continuer, ajoute-t-il. Duroc, le grand maréchal du palais, en est chargé.
Mais d’abord, l’entrée dans Berlin. Il faut que ces Prussiens découvrent la force de la Grande Armée.
À 15 heures, Napoléon caracole sur Unter den Linden. Il est seul au milieu du défilé, petit homme en tenue verte de colonel des chasseurs de la Garde, coiffé de son chapeau corné, de sa « cocarde à un sou », comme disent les grenadiers. Il ne porte, comme décoration, que le cordon de la Légion d’honneur. Derrière lui se tient son mameluk, Roustam, et à quelques longueurs encore son état-major, les officiers de la maison impériale, Duroc, Caulaincourt, Clarke, les aides de camp, Lemarois, Mouton, Savary, Rapp, et puis les maréchaux, Berthier, Davout, Augereau.
Lefebvre et la Garde à pied précèdent l’Empereur, puis, après les officiers, viennent les chasseurs de sa Garde.
Napoléon voit tout cela, qu’il a voulu : les fanfares, les mameluks, vingt mille hommes, et ces grenadiers immenses avec leurs bonnets à poil. Et il voit la foule massée sur les côtés d’Unter den Linden. Il galope autour de la statue de Frédéric II, le chapeau levé. Il est l’Empereur vainqueur.
Il passe en revue le troisième corps, celui du maréchal Davout, le duc d’Auerstedt. Il distribue plus de cinq cents croix, s’attarde longuement pour parler aux soldats. Il élève au grade supérieur de nombreux officiers.
— Les braves qui sont morts, dit-il, sont morts avec gloire. Nous devons désirer de mourir dans des circonstances si glorieuses.
Les troupes l’acclament, et Davout lance :
— Sire, nous sommes votre Dixième Légion ! Le troisième corps sera partout et toujours pour vous ce que cette Légion fut à César !
Il écoute.
Il se sent César en ce siècle.
Il se rend à l’hôtel de ville, parle avec violence aux notables prussiens rassemblés, assure qu’il a vu, dans la chambre à coucher de la reine Louise, le portrait du tsar Alexandre.
— Ce n’est pas vrai, Sire, lance une voix.
Des officiers se précipitent. Napoléon les arrête, pardonne au pasteur Erhmann qui a osé l’interrompre. Il reconnaît la sincérité, la franchise de cet homme, mais, rentré au palais royal où il va loger, il s’indigne lorsque le général Savary lui remet une lettre du prince Hatzfeld, celui-là même qui lui a présenté les clés de Berlin. Les agents de Savary ont intercepté cette correspondance de Hatzfeld au prince de Hohenlohe. Elle contient une énumération précise des forces françaises à Berlin, corps par corps, et donne même le nombre de leurs caissons de munitions.
Napoléon dicte aussitôt, d’une voix étranglée par la colère, l’ordre par lequel on doit traduire le prince Hatzfeld devant une commission militaire pour y être jugé comme traître et espion. Qu’on l’arrête, qu’on le fusille. Il lit la consternation dans les yeux de Berthier, de Ségur, mais n’ont-ils pas compris qu’on ne peut régner que sévèrement ? N’a-t-on pas fusillé, le 26 août 1806, un éditeur de Nuremberg qui diffusait un pamphlet antifrançais ?
Quelques instants plus tard, alors qu’il rentre d’une revue, que les tambours battent, une femme enceinte s’évanouit à la porte de son cabinet. La princesse Hatzfeld vient solliciter la grâce de son mari.
Napoléon regarde la jeune femme, lui tend la lettre, lui demande de la lire. Elle bégaie, pleure.
Être empereur, c’est aussi disposer du droit de grâce, jouir de cet émoi, rendre à la vie celui qu’on destine à la mort.
Napoléon regarde la princesse éplorée, assise devant la cheminée.
— Eh bien, dit-il, puisque vous tenez entre vos mains la preuve du crime, anéantissez-la et désarmez ainsi la sévérité des lois de la guerre.
Elle jette la lettre dans le feu.
Peu après, le prince Hatzfeld est libéré.
Il se retire, il écrit à Joséphine. Il est 2 heures du matin, le 1 er novembre 1806.
« Talleyrand arrive et me dit, mon amie, que tu ne fais que pleurer. Que
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