L'empereur des rois
faut donner tête baissée sur tout ce qui voudra résister ».
Il se penche, fait arrêter la voiture, descend, s’approche d’un groupe de blessés. Ils sont couverts de sang. Certains se redressent, crient d’une voix étouffée : « Vive l’Empereur ! »
Il s’enquiert de leurs noms, de leur unité. Il leur fera donner des Légions d’honneur.
Il s’éloigne, remonte dans la calèche.
— Vaincre n’est rien, murmure-t-il, il faut profiter du succès.
À Weimar, il s’installe pour quelques heures dans le palais ducal.
Il est heureux. On annonce l’arrivée d’un envoyé du roi de Prusse, un aide de camp qui réclame un armistice.
Napoléon l’écoute, répond : « Toute suspension d’armes qui donnerait le temps d’arriver aux armées russes serait trop contraire à mes intérêts pour que, quel que soit le désir que j’ai d’épargner des maux et des victimes à l’humanité, je puisse y souscrire. Mais je ne crains point les armées russes, ce n’est plus qu’un nuage ; je les ai vues la campagne passée. Mais Votre Majesté aura à s’en plaindre plus que moi… »
Les Russes ! Il se sent plus que jamais invincible, si sûr de lui, si confiant dans son intuition. Le maréchal Lannes lui écrit que les soldats, en écoutant sa proclamation qui célèbre les victoires d’Iéna et d’Auerstedt, ont crié : « Vive l’Empereur d’Occident ! » « Il est impossible de dire à Votre Majesté combien ces braves l’adorent, vraiment on n’a jamais été aussi amoureux de sa maîtresse qu’ils l’ont été de Votre personne. »
Il écoute Lannes. Il aime ses soldats pour l’amour qu’ils lui portent, et le dit dans la proclamation qu’il écrit.
C’est maintenant Davout qui s’avance, qui répète que son sang appartient à l’Empereur. « Je le verserai avec plaisir dans toutes les occasions et ma récompense sera de mériter votre estime et votre bienveillance. »
Il reçoit ces mots comme des trophées. N’est-ce pas justice qu’on l’admire, qu’on l’aime ? N’a-t-il pas conçu cette victoire ? À 5 heures du soir, ce 16 octobre, à Weimar, il écrit à nouveau à Joséphine. « M. Talleyrand t’aura montré le bulletin, ma bonne amie ; tu y auras vu mes succès. Tout a été comme je l’avais calculé et jamais une armée n’a été plus battue et plus entièrement perdue. »
Il avait prévu cela. Et il est le seul à posséder ce talent, ce génie.
« Il me reste à te dire, poursuit-il, que je me porte bien, et que la fatigue, le bivouac, les veilles m’ont engraissé.
« Adieu, ma bonne amie, mille choses aimables à Hortense, au grand Napoléon.
« Tout à toi.
« Napoléon »
— Il faut les poursuivre l’épée dans les reins, dit-il dès qu’il retrouve ses maréchaux.
Il s’installe à Halle, gagne Wittenberg où il reçoit Lucchesini, l’envoyé du roi de Prusse, pour négocier.
— Le roi me paraît tout à fait décidé à s’arranger, dit Napoléon à Berthier, mais cela ne m’empêchera pas d’aller à Berlin, où je pense que je serai dans quatre ou cinq jours.
Ils ont voulu la guerre ! Qu’ils paient. C’est la loi du vainqueur. Il faut qu’ils la subissent .
Cent cinquante millions de francs de contribution pour les États allemands. Fermeture de l’université de Halle. « S’il se trouve demain des étudiants en ville, ils seront mis en prison pour prévenir le résultat du mauvais esprit qu’on a inculqué à cette jeunesse. »
Il interpelle le général Savary. Se souvient-il de la bataille de Rossbach, là où Frédéric II, en 1757, défit de manière éclatante l’armée française de Soubise ?
— Vous devez trouver à une demi-lieue d’ici la colonne que les Prussiens ont élevée en mémoire à cet événement.
Au pied du monument que Savary a découvert dans un champ de blé, Napoléon reste longuement à lire les inscriptions qui célèbrent la gloire de Frédéric II.
Je suis là. Quarante-neuf ans sont passés, et j’efface la défaite française et la victoire du grand Frédéric .
Il donne à Berthier ses consignes.
— Beaucoup de formes, beaucoup de procédés, beaucoup d’honnêteté, mais en réalité s’emparer de tout, surtout des moyens de guerre…
C’est la loi du vainqueur.
Il quitte Wittenberg, mais sur la route une averse de grêle l’oblige à se réfugier dans une maison de chasse. Les pièces sont obscures. L’orage tonne. Il
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