Les émeraudes Du Prophète
momentanément :
— Il se peut même que Jérusalem ne le revoie pas avant un certain temps, confia-t-il à Morosini d’un ton jubilatoire. Je sais qu’il fera tous ses efforts pour accompagner notre chef jusqu’en Amérique.
Cela dit, il planta là son visiteur et s’en alla chanter les louanges d’un Dieu qui s’entendait si bien à exaucer les vœux secrets de son fidèle serviteur. Par acquit de conscience, Aldo quitta la vieille ville et se dirigea vers le quartier de Mea Shearim, sorte de citadelle du judaïsme pur et dur, surtout polonais et lituanien, construit vers 1874 par un certain Conrad Schick. Il avait tout de même appris que Goldberg avait là sa résidence. Il surveilla un long moment l’austère maison de pierre grise aux fenêtres grillées puis arpenta au pas de promenade les rues étroites peuplées de Juifs hassidiques qui semblaient tous taillés sur le même modèle en dépit de légères différences de costumes selon leur origine. Il vit aussi des enfants et des adolescents mais aucun ne possédait le sombre regard impérieux d’Ézéchiel, un regard que Morosini était certain de reconnaître n’importe où. Se pouvait-il que lui aussi fût parti avec le Grand Rabbin ?
Non, c’était impossible ! Ce garçon avait, selon toute évidence, conduit Lisa à l’endroit de sa captivité ou à ceux qui devaient l’emmener hors du pays si l’on s’en tenait aux termes de la lettre. Il était déjà assez surprenant que Goldberg fût parti courir les mers au lieu de veiller sur son otage mais, après tout, c’était peut-être un bon moyen de mettre sa précieuse peau à l’abri des sévices qu’un époux hors de lui était bien capable de lui infliger en dépit de ses menaces. Il devait avoir pleine confiance en ceux à qui l’on avait remis Lisa et dont le jeune garçon faisait peut-être partie. Apparemment, Goldberg avait bien joué son mauvais coup : il ne laissait pas à son adversaire le moindre bout de fil pour trouver l’entrée du labyrinthe… Et pourtant, il fallait y parvenir mais comment, lorsqu’on est seulement deux et qu’on ne peut demander l’aide de la police pour surveiller une ville aussi complexe, aussi enchevêtrée que Jérusalem ? Alors qu’ils avaient affaire à ce qui était peut-être une véritable et puissante organisation…
De retour à l’hôtel, il tomba en plein conseil de famille. M me de Sommières et Marie-Angéline du Plan-Crépin venaient d’arriver enfin à Jérusalem estimant qu’il était grand temps pour elles de rejoindre les ex-gardiens du Pectoral et d’autant plus que Louis de Rothschild rappelé à Vienne par radio venait de partir. Avec l’élégance qui le caractérisait, il n’en laissait pas moins son yacht à la disposition de ses amis, ayant choisi la voie la plus rapide, c’est-à-dire le train. Son bateau avait simplement remonté la côte jusqu’à Haïfa, le plus grand port de la région, où il stationnerait jusqu’à nouvel ordre. On se sépara à la gare et tandis que la marquise et sa « suivante » prenaient un train de la grande ligne Haïfa-Lod-Jérusalem, le baron en prenait un autre jusqu’à Tripoli pour s’embarquer sur le Taurus-Express qui, par la Syrie et Ankara, le mènerait à Istanbul d’où l’Orient-Express le ramènerait chez lui dans les meilleurs délais.
En compagnie d’Adalbert qui les avait mises au courant des événements de la dernière nuit, les deux voyageuses, après s’être débarrassées des poussières du voyage, buvaient l’une un cocktail et l’autre du champagne – la crise de goutte s’était envolée sous l’effet d’un emplâtre miraculeux provenant de la boutique crasseuse d’un apothicaire de Jaffa – en attendant Aldo et l’heure du déjeuner.
Quand celui-ci pénétra dans le bar décoré d’une fresque représentant le futur roi David en train d’abattre Goliath d’un coup de fronde, trois paires d’yeux interrogateurs se dirigèrent vers lui mais Adalbert se leva pour l’accueillir :
— Alors ? Du nouveau ?
— Rien… ou si peu. Le Grand Rabbin est en route pour New York et Goldberg l’accompagne. Peut-être seulement jusqu’à Gênes mais on n’en est pas certain. Quant au jeune Ézéchiel, il viendrait de la planète Mars qu’on en saurait sans doute davantage à son sujet. Personne ne le connaît, personne ne l’a vu…
Ayant ainsi délivré son message, Aldo baisa la main de la marquise et de
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