Les révoltés de Cordoue
déportés. Cet ambassadeur, qui s’appelle Agi Ibrahim, a atteint
son objectif, mais alors qu’il se trouvait dans notre pays, il a été chargé
d’une autre mission qu’il nous a fait parvenir à l’ambassade de France en
Espagne : obtenir votre pardon et celui de votre famille… quel qu’en soit
le prix. Et le prix a été élevé, je puis vous l’assurer.
Hernando attendit d’autres explications.
— Je n’en sais pas davantage, s’excusa Ronsard. On m’a
simplement ordonné, une fois le pardon obtenu, de chercher don Pedro de Granada
Venegas, qui saurait probablement vous trouver à cause de l’affaire des plombs.
On m’a chargé de l’accompagner pour vous remettre la lettre du sultan.
Hernando l’ouvrit.
La calligraphie arabe, soignée, colorée et stylisée, écrite par une main
experte, le fit frissonner. Il commença à lire en silence. Fatima s’était
rendue à Constantinople, comme elle s’y était engagée, et avait remis
l’évangile au sultan en personne. Ahmed I er le félicitait pour
son action au service de la défense de l’islam et le remerciait de lui avoir
envoyé l’évangile de Barnabé, mais il lui exprimait surtout toute sa gratitude
pour avoir continué à entretenir l’esprit de l’islam dans la mezquita de
Cordoue, en priant face à son mihrab. Qui, dans toute l’étendue du monde
musulman, n’avait entendu parler d’elle ?
Le sultan, disait encore la lettre, construisait à
Constantinople la plus grande des mosquées en l’honneur d’Allah et de son
Prophète. Elle comprendrait six hauts minarets, une immense coupole et serait
recouverte d’une mosaïque composée de milliers de pièces bleues et vertes. Mais
même ainsi, reconnaissait-il, aussi belle serait-elle, elle n’égalerait jamais
en splendeur la mezquita de Cordoue, symbole de la victoire sur les royaumes
chrétiens d’Occident.
Mon désir, et
celui de tous les musulmans – écrivait le sultan – est que tu
continues à louer et à vénérer le « Créateur sans pareil », entre les
murs de celle qui fut la plus importante mosquée d’Occident ; que, même en
murmurant, on continue d’entendre de ta bouche les prières au Dieu unique. Et
lorsque tu ne seras plus, que tes enfants et les enfants de tes enfants
poursuivent cette mission. Que vos prières se confondent avec l’écho des
murmures de nos frères qui, par milliers, ont prié là pendant des siècles, afin
que le jour où Dieu le voudra, à travers toi et ta famille, soient réunis le
passé et ce présent qui, avec l’aide du Tout-Puissant, adviendra sans nul
doute.
Les docteurs en
religion considèrent indispensable de retrouver l’original de l’évangile que le
copiste prétend avoir caché à l’époque d’al-Mansûr. Si seulement nous
réussissions ! Nous donnerions n’importe quoi pour cela, car les chrétiens
ne reconnaîtront jamais une copie.
Ton épouse te
félicite et t’encourage à continuer le combat que vous aviez commencé ensemble.
Nous veillerons sur elle jusqu’à ce que la mort vous réunisse.
Fatima ! Elle lui avait pardonné !
Les rires de ses enfants, un peu plus loin, l’obligèrent à
lever les yeux. Il les regarda : ils couraient et jouaient entre les
oliviers, excités par les cris de Miguel, sous l’œil amusé de son épouse. Sa
famille était sa plus grande réussite…, soupira Hernando. Pourquoi cette
cohabitation entre les deux peuples n’avait-elle pas été possible ? Alors
il vit Muqla, resté à l’écart ; immobile, sérieux, attentif à lui. Ils
étaient ses enfants, mais celui-ci était l’héritier de l’esprit forgé sur ces
terres au cours de huit siècles d’histoire musulmane. Celui-ci continuerait son
œuvre.
Soudain, Rafaela se rendit compte de la complicité entre le
père et le fils et, comme si elle devinait les pensées de son époux, elle
s’approcha de Muqla, se plaça derrière lui et posa ses mains sur ses épaules.
L’enfant chercha le contact de sa mère et entrelaça ses doigts aux siens.
Hernando contempla tendrement sa famille, puis il leva les
yeux au-dessus de la cime des oliviers. Le soleil était haut. Et, l’espace d’un
instant, dans le ciel clair, les nuages dessinèrent pour lui une main de
Fatima, blanche et immense, qui semblait les protéger tous.
Notes de l’auteur
L’histoire de la communauté maure, depuis la prise de
Grenade par les Rois Catholiques jusqu’à leur expulsion définitive, dont
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