Les révoltés de Cordoue
plus élevé le salaire journalier
qu’ils recevraient.
À la tombée du jour, épuisés, ils se dirigèrent vers leur
foyer, un minuscule bâtiment à deux étages en ruine qui, avec cinq autres aussi
délabrés, composait la petite ferme construite à l’écart du village de
Campotéjar.
Ils vivaient là depuis leur arrivée et travaillaient les
champs pour de misérables salaires journaliers leur permettant juste de nourrir
péniblement leurs cinq enfants. Souvent ils avaient faim, comme tous ceux qui
se consacraient à la terre, mais ils étaient ensemble, et cela leur donnait des
forces.
Les dimanches et fêtes d’obligation ils se rendaient à la
messe à Campotéjar, où ils se montraient plus pieux que n’importe quel
habitant. Depuis 1610, l’archevêque de Castro, farouche défenseur des plombs du
Sacromonte, avait laissé son siège de Grenade pour celui de Séville. De là-bas,
grâce à son énorme patrimoine personnel, il poursuivait son travail de
traduction des lames et des plombs, ainsi que la construction de la collégiale
sur les grottes, mais il était aussi devenu le plus chaud partisan du
conceptionnisme, faisant de la pureté de la Vierge Marie la bannière de son
épiscopat. Les doctrines autour de l’Immaculée Conception s’étaient transmises
dans toute l’Espagne, parvenant même jusqu’aux recoins les plus reculés des
plus petites paroisses, comme celle de Campotéjar. Hernando et Rafaela
écoutaient les homélies passionnées sur Marie, cette Maryam que le Prophète
avait désignée comme la femme la plus importante au Ciel et à qui le Coran et
la Sunna reconnaissaient les mêmes vertus célébrées à présent dans les églises
chrétiennes. Hernando et Rafaela, chacun depuis sa propre foi, s’unissaient
autour d’elle, lui avec respect, elle avec dévotion.
Souvent, à ces moments-là, ils se cherchaient du regard, car
les hommes et les femmes étaient séparés à l’intérieur de l’église. Lorsqu’ils
réussissaient à se retrouver, ils se parlaient en silence. La Vierge Marie
s’élevait comme le point d’union entre leurs croyances respectives, ainsi que
le suggéraient ces plombs qui avaient donné si peu de résultats. Comment, sans
son intercession, en était venue à lui commenter Rafaela dans l’intimité de
leurs nuits, un Maure et une chrétienne auraient-ils pu s’échapper de
Séville ? Comment, sans l’intercession de Marie devant Dieu, aurait-Il
autorisé un mariage heureux entre un partisan du Prophète et une dévote
chrétienne ?
Lors de ces journées de congé dans le village, dès
qu’Hernando voyait un cheval, aussi navrant qu’il pût être, Rafaela frissonnait
en le voyant plisser les yeux avec nostalgie. Alors elle se demandait si elle
avait pris la bonne décision en fuyant avec lui, si elle ne l’avait pas
condamné à une vie simple et stérile, loin de ses études et de ses projets,
ennuyeuse et misérable.
Cependant, pendant ces fêtes d’obligation, son époux lui
démontrait indéniablement qu’elle ne s’était pas trompée. Il jouait avec les
petits Muqla et Salma, les prenait dans ses bras et les embrassait avec
douceur. En cachette, dans les champs, il essayait de leur apprendre les
chiffres, l’arithmétique, et tout ce qu’il pouvait sans papier ni écriteau.
Mais ils se lassaient vite de ces leçons qui ne leur servaient à rien et lui
demandaient l’autorisation de s’asseoir pour écouter une histoire racontée par
Miguel. Plus tard, le soir, chez eux, les deux époux parlaient de leurs
enfants, de l’avenir d’Amin et de Laila, déjà presque adultes, des champs, de
la vie et de mille autres choses, avant d’entrer dans la petite chambre qu’ils
partageaient où, tendrement, ils faisaient l’amour.
Un jour de dur labeur, ils se levèrent à l’aube afin de
continuer la cueillette des olives. Hernando dut secouer ses enfants, qui
dormaient tous ensemble recroquevillés sur le même matelas, pour les réveiller.
Après un petit déjeuner frugal, ils partirent aux champs, dans la brume. Dès
que la chaleur l’eut dissipée, ils travaillèrent en silence. Rafaela était
soucieuse : son corps lui indiquait qu’elle était de nouveau enceinte.
Comment allait-elle donner naissance à un autre enfant dans ce monde de
pauvreté et de souffrance ?
En milieu de matinée ils firent une pause pour manger. C’est
alors que Roman, un vieillard impotent qui restait toujours à la ferme, apparut
au
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