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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’avoir à subir les inconvénients d’une autorité sans faille. Bertrand se pourléchait de l’avoir subjugué.
    – Messires, dit le Breton en examinant brièvement les complices qui l’entouraient, messires, j’en vois certains d’entre vous qui faiblissent. Bientôt, en plaine, nous serons à l’aise.
    – J’ai les pieds gelés, dit Guébriant, et des pernions 8 aux mains. Si nous devons surquérir 9 des coquins ou leur contrester 10 , je ne pourrai tenir mon épée tant je suis mal et déforci.
    – Nous combattrons, mon compère. Ah ! Oui, nous combattrons et le plus tôt sera le mieux. Rien de tel qu’une bataille pour réchauffer un corps !
    « Ou le refroidir à jamais », songea Tristan.
    Guesclin levait haut son court menton comme l’eût fait sans doute un tribun de Rome. Tristan sourit. L’idée ne l’avait jamais frappé, comme maintenant, que ce huron pétri dans la glaise du pays gallo pouvait se griser de batailles imaginaires comme un gros mangeur pouvait rêver parfois de plateaux fléchissant sous des mets délectables. Tirer sa lame du fourreau était pour cette ortie convertie en lis plus qu’une jouissance : une volupté assouvie sans coups de reins, sans spasmes, sans soupirs, mais assortie d’un rugissement de bête dévoreuse. Tout en se prévalant de servir le roi, et par conséquent l’Église, il avait innové la liturgie du mal. Ses autels hispaniques avaient noms de brasiers ; quant à ses prières, si d’aventure il advenait qu’il en fît, elles se confondaient avec les hurlements de ses victimes. Et mieux encore que ses prélats, le roi Charles bénissait de sa main enflée de sang corrompu ce grand corrupteur d’une Espagne saignée à blanc, déjà, par ses propres enfants.
    – Messires, reprit le Breton, plus nous avancerons désormais, plus nous serons honnis car on nous déteste aussi bien en Aragon qu’en Navarre. Vous avez tous vu les messages 11 que le roi Enrique ne cesse de m’envoyer. Il nous attend. Il nous espère… Il assiège Toulette et Toulette ou Toledo ou Tolède résiste… Le Bègue de Villaines m’a fait tenir un bref 12 . Il y est écrit qu’il désespère de conquérir cette Jérusalem… Tolède, messires, est une forteresse juive.
    Tristan songea qu’il n’y avait pas plus chrétiens que Pedro del Valle, sa famille, ses armuriers et serviteurs, et que dans cette cité que le Breton vouait à la destruction, Chrétiens, Juifs et Mahomets vivaient toujours ensemble et défendaient ensemble un bien-être que nul homme de France ne pouvait comprendre. Pas même lui.
    – Nous devons vaincre cette ville… Nous devons vaincre cette… hérétique ! Cette fille d’Abraham…
    Nous devrons démanteler son corselet de pierre et la livrer, nue, à nos volontés !
    Guesclin s’avisa de celui dans lequel il voyait un juge :
    – Qu’en dis-tu, Castelreng ?
    « Je me dis que les Juifs sont aussi peu nombreux à Tolède que les honnêtes gens dans ton armée. »
    – Ce n’est pas à moi de fournir un avis… Je suis là contre mon gré. J’obéirai à tes mandements. Ne m’en demande pas davantage.
    Guesclin s’inclina. Sa fureur avait fait un bond. En avant ou en arrière ? Très prolixe pour une fois, il fournit à son auditoire quelques précisions qu’on ne lui demandait pas.
    – Pèdre se montre chaque jour plus cruel en Andalousie. Il y passe son temps à tourmenter et à occire tous ceux, hommes et femmes, qui souhaitaient le retour de notre ami Henri… Les Cordouans, effrayés, demandent du secours…
    – Toulette est-elle à ce point imprenable ? interrompit Emerion Estonne, la moustache emperlée, le nez et les oreilles vermillonnés d’engelures.
    Guesclin se rengorgea : s’il avait été auprès des assaillants, eh bien, il eût déjà franchi les murailles. Les deux capitaines qui, pour Pèdre, commandaient la place, l’alguazil major Fernando Alvarez et Garci de Villodre, avaient constitué une armée juive. Don Henri et Pierre de Villaines qui, depuis le 30 avril, assiégeaient la nouvelle Jérusalem avec un millier de lances craignaient d’épuiser leurs guerriers en de vaines attaques. Au moyen de bastilles construites devant les ponts de San Martin et d’Alcantara, ils avaient fermé toutes les issues dans l’intention de triompher des Tolédans par le désespoir autant que par la famine (372) .
    – Comme les Goddons à Calais, messires !… Et les Goddons sont parvenus à

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